Apologie de l’enfermement dans le dernier roman de l'andalouse Sara Mesa, "Cuatro por cuatro"
Les élèves de cet institut
élitiste ne sont autres que les enfants de familles les plus aisées. Cependant, aux côtés de ces gosses de riches
se retrouvent les dits "spéciaux", rejetons de parents qui travaillent
à l’internat et peuvent ainsi disposer d’avantages personnels. Toute
l’organisation de l’édifice est régie par la séparation de ces deux catégories
d’élèves : les gosses de riches et les boursiers, les filles et les
garçons. Une mixité scindée par le refus de l’influence des uns sur les autres.
Imaginer une telle séparation physique reflète l’intérêt moral des responsables
de cette organisation, ainsi dès les prémices de leur adolescence on leur
inculque ceux qu’il faut fréquenter et ceux qu’il faut fuir car ils
n’appartiennent pas au même rang social ou ne sont pas du même sexe.
Dans cet univers
narratif bombardé de violence, d’abus et
de séquestrations, la trame de la première partie se déroule en courts
chapitres, chacun offrant un nouveau point de vue et un nouveau coup de pinceau
au tableau qui se découvre au lecteur. Le morcellement du récit offre une
réflexion analogique quant à l’adéquation entre la substance narrative et le
style adopté par l’auteur. Ces premiers chapitres nous permettent de nous
familiariser avec l’environnement de l’institut et les personnages qui le
peuplent. Toutefois, l’on comprend rapidement que le thème principal de
l’enfermement va déboucher sur la modélisation de personnes corrompues et
monstrueuses.
A moindre ampleur,
le Wybrany College se pose en témoin et représentant principal d’une société
hiérarchisée dans laquelle la ségrégation est à la discrimination ce que le
silence est à la violence. Les forts profitent des faibles et les plus hauts
placés se bandent les yeux. D’autant plus que grâce à l’excellent exercice de Sara
Mesa en matière de connotations et de sous-entendus, la réalité se détache et
s’efface peu à peu de façon inexorable, pour laisser place à un curieux
environnement angoissant et suffocant.
La seconde partie du
roman est le journal de bord d’un professeur remplaçant, Isidro Bedragare, qui
vient d’arriver au Wybrany College pour une durée encore indéterminée. Il se
retrouve dans un lieu comme pétrifié dans le temps, environné par des personnes
qui le snobent ou qui le scrutent des pieds à la tête. Isidro fuyant son propre
échec, croit pouvoir trouver en ce travail la motivation nécessaire pour se
remettre à écrire et enfin se prouver à lui-même qu’il n’est pas un écrivain
déchu. L’ordre et la discipline étant de mise à l’institut, le contexte semble
être encourageant pour quelqu’un de passivement perdu. Seulement, ce qu’il va y
trouver en plus d’un lieu hostile et d’étranges relations de pouvoir, c’est
avant tout une déformation de la Normalité. Dehors se trouve le chaos et à l’intérieur
le reflet de celui-ci, enfermé entre quatre murs.
"Cuatro por cuatro" est une œuvre talentueuse et originale, dotée d’une intrigue semée d’embuches, de mystères à résoudre dans un contexte entaché de fausses apparences, dans laquelle l'auteur condamne l'oppression et la violence.
N.B : Cet ouvrage n’est pas encore édité en langue française, toutefois il est en court de traduction par mes propres soins. Il faudra donc être patient si le cœur vous en dit !
Elodie Blain
Sara Mesa, Cuatro por cuatro, Anagrama, 2012, 272 pages, 17,90 euros.
0 commentaire