"Histoires de Barcelone": esprit des lieux es-tu là?

Publié à l’occasion du Salon du Livre dont Barcelone était la ville invitée, ce petit volume avait a priori tout pour nous mettre en appétit. Histoires de Barcelone, c’est là un titre faisant imaginer des nouvelles où l’esprit des lieux serait bien mis en valeur ; le nom de Juan Marsé – sans doute le plus grand écrivain espagnol vivant – augure, quant à lui, du meilleur en matière de qualité littéraire. Malheureusement, le livre ne tient pas les promesses de sa couverture, conduisant le lecteur de déception en déception, nonobstant l’admiration qu’on porte à Marsé.

             De fait, sa nouvelle « Histoire de détective » n’est jamais qu’une œuvre mineure, pour ne pas dire un fond de tiroir, ressassant un sujet traité maintes fois par ailleurs, dans des romans autrement plus ambitieux et réussis du même auteur : les fantasmes et les jeux d’une petite bande d’enfants pauvres, du temps de Franco. Mais au moins, l’ayant lue, on peut se dire que pour un public ignorant tout de Marsé, ce texte présente plus d’intérêt que pour qui a lu ses chefs-d’œuvre, et que l’« Histoire de détective » pourrait donc avoir l’utilité d’inciter un certain nombre de lecteurs à découvrir d’autres écrits du grand romancier. Ce n’est certainement pas le cas du deuxième morceau du volume, « L’enthousiaste » de Pedro Zarraluki, laborieux exercice d’écriture sur le thème d’un bonhomme ordinaire qui devient fou, petit à petit, à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Barcelone. Inévitablement, le lecteur songe à Gogol et Kafka, et mesure l’abîme entre le traitement de ce type de sujet chez les maîtres et le récit de Zarraluki, cousu de fil blanc, sentant l’artifice et l’effort consciencieux pour remplir les cases d’une intrigue prévisible et d’une thèse préconçue. Il va de soi qu’il n’y a même pas là une once de « couleur locale » qui puisse pallier le manque de qualités proprement littéraires – car de toute évidence, Zarraluki n’est pas plus aptes à transcrire ou à inventer l’esprit d’un lieu qu’à vous faire sentir comment on devient fou. 

          Le lecteur se rabat donc sur la dernière nouvelle du volume, en priant pour qu’elle rachète le reste, et n’en revient pas de la trouver encore pire que « L’enthousiaste ». De quoi s’agit-il dans « Paseo de Gracia-Provenza » ? D’une femelle caricaturale qui s’éprend d’une kyrielle d’hommes dont chacun est censé lui offrir le grand amour qu’elle n’avait pas trouvé auprès de son devancier, et qui juge finalement que le seul amour qui vaille, c’est le maternel – créature dont l’histoire nous est narrée par un personnage aussi porté à la présenter comme grotesque qu’à se poser en homme presque parfait. Et qu’y a-t-il de proprement barcelonais dans tout cela ? Rien, sinon des adresses aussi parlantes que des stations de métro pour quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds. Si le contenu de cette histoire nous avait été fourni au zinc d’un bistrot, à Paris ou n’importe où ailleurs, de vive voix, façon pas-très-brève de comptoir, on aurait peut-être pu s’en amuser, la boisson aidant ; mais servi dans un volume de nouvelles et sous le patronage de Juan Marsé, il suscite l’effarement : est-ce possible que la littérature contemporaine espagnole soit tombée aussi bas, et si ce n’est pas le cas, pourquoi diable l’éditeur n’a-t-il pas trouvé mieux à nous offrir, en fait d’écrivains barcelonais plus jeunes que Marsé ?

              Ce n’est pas la préface, due à Jean-Noël Mouret, qui risque de vous l’apprendre ; en revanche, elle pourrait vous gâcher jusqu’au plaisir minimal de découvrir ces nouvelles sans en connaître toute la substance au préalable. Je conseillerais donc aux optimistes qui tiendraient à acheter l’ouvrage de ne surtout pas le lire dans l’ordre : commencez par la troisième nouvelle, passez ensuite à la deuxième, puis à la première, et finissez par l’avant-propos. Si jamais cette façon de faire vous donne de l’ensemble une opinion meilleure que la mienne, estimez-vous heureux.

 

Juan Marsé, Pedro Zarraluki, Ramon de Espana

Histoires de Barcelone

traduit de l’espagnol par Jean-Claude Masson et Jean-Noël Mouret, éd. Gallimard, coll. Folio bilingue, mars 2013, 208 pages, 6,50 euros    

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