Des zombies et des hommes : « Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour » de S. G. Brown

En guise de troisième opus, les éditions Mirobole nous livrent un roman détonnant qui aussi bien par ses qualités intrinsèques que par le choix éditorial dont il procède s'avère digne de louanges. Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l'amour de l'Américain S.G. Browne est en effet un texte qui rappelle judicieusement que le fantastique ne rime pas forcément avec le sérieux ou l'angoissant et que les créatures surnaturelles ont avant tout été imaginées pour parler de la condition humaine, laquelle manque souvent singulièrement de grandeur et peut s'avérer aussi grotesque que mesquine.


Le monde créé par S. G. Browne ressemble à s’y méprendre au nôtre, à ceci près que les zombies ne s’y cantonnent pas aux livres et aux films. En effet, un pourcentage marginal des morts s’y réveille dans les quelques jours suivant le trépas, sans que l’on puisse prévoir qui ni pourquoi. Si l’existence des zombies n’est donc pas un phénomène surnaturel dans ce monde, les créatures elles-mêmes y sont stigmatisées : avoir un zombie dans sa famille, c’est la honte ; la chasse aux zombies est le sport favori des fraternités étudiantes ; les zombies récalcitrants sont voués au scalpel d’expérimentateurs en tous genres…


Le protagoniste du livre, Andy, en est un et par le biais d’un flash-back, qui nous le présente dès les toutes premières heures suivant son réveil d’entre les morts, nous découvrons avec lui ce qui fait le quotidien d’abord honteux, puis plus assumé de ces créatures : le rejet par les parents, l’obligation d’ingurgiter du formol pour retarder la putréfaction des chairs, la fadeur de tous les plats cuisinés, hormis… Chut ! Bref, on s’amuse beaucoup de ce regard inversé à l’humour noir ravageur. C’est que les humains normaux – les “respirants” – y apparaissent bien mesquins, entre des parents dont l’amour est conditionné à la normalité de leurs enfants et des jeunes étudiants bornés et obtus, à un âge auquel on aime d’ordinaire prêter une grande ouverture d’esprit… “En plein jour, les respirants répugnent aux actes de violence éhontée sur les zombies. L’effet de meute et l’hystérie collective se réveillent après le coucher du soleil, lorsque le courage est alimenté par la bière, le whisky et l’obscurité”, constate amèrement Andy. Essayez de remplacer “zombie” par “homosexuel” – ou toute autre catégorie marginale jugée dérangeante – et vous verrez que ce roman fantastique ne l’est pas autant que cela. “Qu’est-ce qui est pire, se demande Andy, à qui son statut de zombie interdit de voir son enfant, être un respirant avec une fille zombie, ou être un zombie avec une fille respirante ? Au moins, si j’étais encore vivant, j’aurais le droit d’élever mon enfant.”


Dans un tel contexte, point de final réconfortant où, après avoir été menacé, l’ordre établi se restaure, une fois l’aberration fantastique évacuée. Au contraire, Andy le zombie s’accroche, réclame son droit à vivre dignement, puisqu’il est là sans avoir rien demandé. La condition de sa survie – à découvrir… – en dérangera sans doute certains, mais comment blâmer quelqu’un pour un comportement qu’il doit à sa seule nature ? Le livre s’achève donc sur un constat ironique : quoi qu’il lui en coûte, l’humanité va devoir composer avec ces créatures qui ne sont en fait qu’une émanantion d’elle-même. Une bonne raison pour attendre la suite des aventures d’Andy, Le jour où les zombies ont dévoré le Père Noël, annoncée par les éditions Mirobole pour fin 2014.


André Donte

 

S. G. Browne, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amourMirobole Éditions, « Horizons pourpres », Mirobole Éditions, mai 2013, 378 pages, 21 euros

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