Au pays

LE RETOUR AU PAYS DE L’ESPOIR

« Au pays », le récit du retour de Mohamed dans son bled au Maroc après sa mise à la retraite en France. Renaissance de l’espoir de refaire sa vie.

BEN JELLOUN, Tahar. Au pays. Saint Amand, Gallimard, 2009, 169 p.

 

Après des études en philosophie l’auteur, Tahar Ben Jelloun, Marocain d’origine, immigre en France et poursuit des études en psychologie sociale dont son écriture tire avantage. À partir de 1971, il publiera sans relâche recueils de poésie et romans dont plusieurs font appel à son expérience de vie d’arabe musulman. Ainsi naîtra le personnage de Mohamed dans son roman « Au pays ».

 

La narration dévoile les réflexions de ce protagoniste expatrié en France en 1962 afin d’y trouver du travail et d’élever sa famille. Homme digne, ouvrier doté d’une grande conscience professionnelle, il essaiera d’éduquer ses jeunes selon la tradition de l’Islam. Ensuite viendra la retraite qu’il interprétera comme un prélude à la mort. Un dilemme apparaît : comment composer avec l’amour qu’il voue à ses enfants qui demeureront en France tout en réalisant son rêve d’un éventuel retour dans son bled? Il ne pouvait imaginer, encore moins accepter que ses enfants lui échappent. Il décidera de retourner au pays et d’y construire la plus grosse maison du village pour attirer ses enfants dans son pays natal. Toutefois, personne n’y viendra; l’incompréhension sera totale et il sombrera dans un délire onirique. Enfin, il mourra en transcendant son âme et il se transformera en saint.

Si vous êtes un lecteur qui désire de l’action et des sensations fortes, ce livre n’a pas été écrit pour vous. Par contre, si vous désirez être transporté dans les longues méditations d’un homme humble qui comprend la vie à partir de sa religion vous serez ravi. Grâce à sa plume parfaite, l’écrivain a la capacité et la sensibilité si élevées que nous pouvons ressentir les toutes les émotions qu’un tel personnage peut éprouver. Ben Jalloun fait dire à Mohamed : « Le temps avait plusieurs visages, c’était un traître qui allait doucement le briser puis l’achever comme il l’a fait avec son copain Brahim. »Comme le récit d’Amin Maalouf dans « Les désorientés », le personnage principal est à l’évidence l’alter ego du personnage principal.

 

La question de l’identité de Mohamed le tourmentera jusqu’à la grande finale. D’une part, quand il vivra en France tout l’opposera à la façon d’être des Français. L’auteur écrira : « Avait-il envie de vivre comme un Français? […]Il ne les critiquait pas, mais ne comprenait pas leur façon de traiter leurs parents et leurs enfants. […] Ce décalage le choquait. »  D’autre part, à son retour au pays, on devine son désir de faire une démonstration de l’homme puissant qu’il est devenu; différent de ceux qui sont restés. Aussi, dira-t-il à sa femme que « personne n’a de maison aussi grande et aussi belle; j’ai réussi, oui, j’ai réussi, c’est une preuve qu’on peut partir à l’étranger et revenir aussi intact que le jour où on a quitté le village ».

Le ton est austère comme sa vie, comme les blessures évoquées; le vocabulaire appartient à cet homme humble, sans instruction. Cet amalgame de mots si bien choisis nous permet d’être touchés par les émotions de Mohamed et d’imaginer tout ce que les déracinés du monde peuvent vivre au quotidien. Qu’avons-nous fait de si terrible pour être suspectés, parfois maltraités dans la rue de demande-t-il?

 

À la fois œuvre de fiction et récit autobiographique, « Au pays » nous offre un roman subtil, mélancolique et sensible comme une complainte d’une génération sacrifiée. C’est en somme un livre à lire absolument.

 


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