"Memento Mori" - récit vampirique de la Terreur rouge

Il existe des romans qui nous laissent perplexes : Memento Mori en fait partie. La quatrième de couverture interroge : une histoire de vampire, deux meurtres, des persécutions religieuses, des automates macabres et un évêque libidineux., le tout sur fond de Guerre d’Espagne: on se demande bien comment Sebastià Alzamora peut réussir à assembler ces différents éléments et à leur donner une cohérence.  Dès le début, Memento Mori s’annonce comme un roman complexe qui présente une image noire et souvent méconnue des Républicains espagnols.

 

            Barcelone, été 1936. Les Républicains tiennent la ville et la Catalogne. La Terreur rouge s’abat alors sur la région et les persécutions religieuses se multiplient dans cette atmosphère de guerre civile où il est si facile de faire disparaître quelqu’un. Certains arrivent à se cacher, d’autres à fuir en payant une rançon conséquente. C’est dans ce contexte que le commissaire Munoz arrive dans la cuisine d’une pension où des frères maristes se sont réfugiés en attendant leur hypothétique extraction : on vient d’y retrouver le corps sans vie de l’un des frères tandis que dans la ruelle avoisinante gît le corps d’un jeune enfant. Tous les deux ont été entièrement vidés de leur sang laissant penser à l’intervention d’un vampire. Pendant que le commissaire enquête, ses deux acolytes, un juge et un médecin, s’ingénient à donner vie à un automate de cheval composé de dépouilles humaines. Des frères maristes essayent de négocier leur fuite avec le chef des anarchistes, Manuel Escorza. Etre difforme physiquement et moralement, ce dernier cache l’évêque de Barcelone dans le couvent de Capucines dirigé par sa propre sœur en espérant négocier sa liberté. Un évêque qui semble s’intéresser d’un peu trop près à une jeune novice de treize ans.

           

            Difficile de faire un résumé correct et synthétique de ce roman dont les composantes sont extrêmement nombreuses et qui en rend la lecture ardue particulièrement dans les cent premières pages. Dès les premières pages, le «vampire » écrit et nous livre ses réflexions métaphysiques, puis changement de décor pour rentrer dans la cellule de frère Darder à la pension où lui et ses frères se cachent, travelling avant au couvent des Capucines puis retour à la pension où les corps sont découverts. Puis on se retrouve dans une crypte où le médecin et le juge ont joué aux apprentis Frankenstein en donnant vie à un cheval automate composé de membres humains fournis par notre médecin légiste. Il faut attendre la scène finale, apocalyptique, pour que les différents acteurs soient réunis. Vous avez suivi ? Moi non plus, dans un premier temps tout du moins.

 

            En nous plongeant dans la Terreur rouge, l’auteur cherche à nous donner un point de vue différent de la Guerre d’Espagne souvent méconnue ou se résumant à ce qui a été enseigné à l’école et à Guernica de Picasso. En gros, les gentils Républicains contre les méchants Franquistes. Mais la réalité est beaucoup plus nuancée comme en témoigne les exactions des extrémistes républicains envers les ecclésiastiques particulièrement en Catalogne. Connue sous le nom de Terreur rouge par opposition à la Terreur blanche des Franquistes, cet épisode peu glorieux a commencé dès le 19 juillet à Barcelone où des monastères furent profanés, les églises pillées et environ 7000 ecclésiastiques assassinés. Memento Mori offre donc une vision plus nuancée où aucun des personnages n’est totalement bon ou totalement méchant.

 

             La référence au cheval sous la forme d’Hardaly, cheval automate fait de chair et de sang, n’est pas sans rappeler celui de Guernica, incarnation de la victime innocente, du peuple sacrifié. Un cheval construit à partir de membres des victimes de cette Terreur rouge pour montrer que même de la mort, la vie est capable de renaître. Reste le vampire. Contrairement à la quatrième de couverture qui annonce un roman gothique, il n’est pas ici question de buveur de sang tel Lestat mais d’une pathologie, le vampirisme. Le côté romantique en prend donc un coup. L’idée serait plutôt de montrer que la guerre, de manière générale, est le terreau le plus favorable à l’émergence de criminels qui peuvent y dissimuler leurs crimes. C’est également ce cadre qui permet l’émergence du pouvoir d’un ou plusieurs individus sur le groupe comme le montre le personnage de Manuel Escorza, qui bien qu’infirme, a réussi à tyranniser une ville entière par la seule mention de son nom.

 

 Memento Mori, prix San Jordi en 2011, n’est pas vraiment un thriller, ni un roman historique. Il fait partie de ces romans inclassables qui nécessite un temps de réflexion, voir une seconde lecture pour en venir à bout. A lire au calme et quand on a du temps.

 

Julie Lecanu

 

Sebastià Alzamora, Memento Mori, traduit du catalan par Serge Mestre, collection « Actes noirs » chez Actes sud, mars 2013, 293 pages, 22,50 euros.

 

 

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