"Les Justes" - l'eugénisme version mormone

 Par une nuit froide dans le désert de l’Utah, une jeune femme mormone, Amanda Kimball, fuit avec sa fillette de trois ans endormie dans les bras. Mais elle est rattrapée par deux hommes qui lui arrachent la langue et lui tranchent la gorge tandis que sa fille est ramenée dans son lit. A la découverte du corps, la petite communauté mormone de Blister Creek est en émoi : cette secte polygame dissidente a peur que le scandale ne filtre dans le monde des « Gentils ». Jacob Christianson, fils d’un des patriarches les plus respectés, est dépêché pour mener l’enquête. Il est aidé par sa jeune sœur de dix-sept ans, Eliza que son père presse de prendre époux. Ce qu’ils vont découvrir va ébranler leurs certitudes et risque fort de détruire cette branche polygame de l’Eglise de Jésus- Christ des Saints des derniers jours.

 

             Les Justes est un polar assez classique dans l’ensemble : le meurtre est sanglant à souhait mais on devine assez vite les coupables. Mais ce qui est vraiment intéressant dans ce polar, c’est d’abord que l’intrigue se déroule dans une communauté assez mystérieuse, celle des Mormons puis dans un second temps le mobile du crime, les deux étant intimement liés. Michael Wallace est, ce que l’on peut appeler, un «garçon perdu » : s’il a grandi au sein d’une petite communauté mormone dans ce même désert de l’Utah, il n’en fait plus partie aujourd’hui bien que nous n’en sachions pas les causes. Toujours est-il qu’il nous livre une vision forcément bien documentée de cette communauté qui ne cesse d’intriguer les Européens tout autant que les Américains. La communauté au sein de laquelle se déroule l’enquête est particulière : il s’agit en effet d’une communauté polygame contrairement à une grande majorité des Mormons qui ont abandonné cette pratique au début du XXème siècle. La valeur d’un homme se jauge ici au nombre de ses épouses et des enfants que ces dernières lui ont donnés. Tout est justifié dans le roman par des citations extraites de la bible.  Le problème apparaît vite pour cette communauté : celui de multiplier leur descendance tout en préservant des hautes qualités morales et spirituelles en évitant les mariages consanguins. Et c’est autour de ce problème que Michael Wallace a décidé de construire une intrigue basée sur l’eugénisme comme solution. Le point de vue donné sur cette communauté n’est cependant pas manichéen mais bien nuancé : si l’on apprend que les femmes ne choisissent pas toujours leur époux, que certains hommes sont exclus de la communauté pour éviter de la pervertir (ceux que l’on appelle les Garçons perdus), on découvre également que cette communauté est particulièrement cultivée, qu’elle entretient aussi des valeurs positives et de solidarité qui sont devenues rares dans notre société. Moins rétrogrades que les Amish, les Mormons ont plus de relations avec l’extérieur et avec la modernité : utilisation internet, étude universitaire s’opposent à une tenue vestimentaire traditionnelle notamment pour les femmes et à l’organisation patriarcale. Jacob ne s’y trompe pas quand il compare sa communauté à des lions : les vieux mâles dominent chassant les jeunes qui les menaceraient tandis que les femelles chassent et s’occupent des petits.

 

          Alors certes, Les Justes n’est probablement pas le polar de l’année, cependant il s’agit d’un polar intelligent du fait qu’il nous divertit tout en nous apprenant un certain nombre de choses sur cette communauté. Premier d’une trilogie se déroulant chez les Mormons, Les Justes peut faire partie des livres à emmener sur la place cet été.

 

Julie Lecanu

 

Michael Wallace, Les Justes, traduit de l’anglais par Patricia Barbe-Girault, MA éditions, juin 2012, 300 pages, 17,90 euros.

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1 commentaire

Eh bien voilà un livre qui a l'air fort divertissant!