Maxime Caron : L’art de la fugue

Dans une langue savoureuse, Maxime Caron cultive l’art d’être soi-même et nous ouvre avec bonheur les portes de son jardin secret dans un recueil de nouvelles riche en échappées belles…

 

Mon premier est sous le signe de la balade vélocipédique. Mon second s’apparente à Alfred Jarry, à Jules Renard, à Valéry Larbaud, à Montaigne, à Henri Thomas, à Georges Perros, à Pierre Sansot, aux écumeurs de grand chemin et à tous les adeptes de la déambulation rêveuse. Mon troisième préconise l’art d’agir dans le non agir et défend l’idée d’une « promenade environnementale ». Mon quatrième œuvre au « colportage des mots » et à dissidence de la pensée. Mon cinquième semble avoir une allergie manifeste pour la « lucarne cathodique », la « paresse épistolaire », les « attachements masochistes », les « semi-évadés de la zoologie », les « compagnies holocaustes », les « esclaves industriels » et les sous-chefaillons « préposés à la toilette de l’information ». Et mon tout a inspiré à Maxime Caron quatorze nouvelles qui sont autant d’invitations au vagabondage métaphysique, à l’évasion spatiotemporelle et à des bifurcations qui nous ramènent toujours à l’essentiel. Par leur côté passe murailles, les personnages de Maxime Caron ont l’art de mettre leur quotidien au diapason de leur vie imaginaire et paraissent tout aussi inclassables que leur créateur. Pas vraiment dans la norme, pas vraiment marginaux. Toujours dans l’entre-deux-mondes, toujours en proie à un jeu d’apparitions et de disparitions qui pourrait bien être le propre de toute existence. De Balthazar à Mlle Ly, de Zacharie à Winnoc Zeemoff, de Pierre Axielle à Whynant, de Charles Zelda à Claude Frace, d’Edesse à Rosario Mozeffa, ces adeptes de la vie buissonnière pratiquent sans discontinuer « l’ascèse de la futilité », une poésie de l’instant présent qui prend volontiers la tangente avec le fin mot de l’histoire… Difficile dès lors de résumer le contenu de ces nouvelles sans trahir le goût évident de leur auteur pour des « compagnonnages secrets » et pour une lecture entre les lignes. Conformément au titre de ce recueil, il existe en chaque parcours de vie un « lieu céleste », une sorte d’arrière-pays où l’au-delà des mots nous en dit sans doute un peu plus sur les bonheurs d’ici-bas. Maxime Caron n’en étant pas à un paradoxe près, tout semble couler de source et s’inscrire le plus naturellement du monde dans l’univers qu’il voit peu à peu naître sous ses yeux. Du coup, et comme le souligne si justement Thierry Gillyboeuf dans sa préface, on ne peut qu’être frappé par cette « manière de ne pas trop se prendre au sérieux, tout en étant habité par une forme de certitude intime, qui peut surprendre, parfois décontenancer, mais qui crée avant tout une forme de proximité avec le lecteur, presque de complicité. » Aussi avance-t-on en toute confiance dans ces histoires qui savent si bien prendre leurs lecteurs par la main. Sur un ton faussement désinvolte, Maxime Caron épingle son prochain avec malice et détecte au quart de tour les petits travers des « robots et robotes contemporains ». De la dérision au dérisoire, peu importe le nombre de kilomètres parcourus. En familier de la Petite Reine, ce marathonien de l’écriture existentielle a endossé depuis belle lurette le maillot jaune du hors-pistes littéraire et dispose de moyens de locomotion imparables pour fausser compagnie à la routine, à commencer par un humour ultra revigorant et par un sens inné du second degré qui n’en finit pas de nous émerveiller…

 

Valère-Marie Marchand

 

Maxime Caron, Le Lieu céleste (et autres nouvelles d’ici-bas), préface de Thierry Gillyboeuf, éditions La Part Commune, juin 2014, 247 p, 16 €

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