Sade L’Irrécupérable

Si Sade brûle c’est pour une raison insupportable : le lecteur passe d’une attitude réflexive à l’exaltation de ses sens. A une période durant laquelle est sollicitée l’aptitude à raisonner et à prendre du recul, se substitue un moment où les mots viennent réveiller le corps qui s’échauffe en provoquant en lui des émotions primaires qui sont toujours incendiaires par rapport aux rigorismes du pouvoir établi Le théâtral et le romanesque sont donc mobilisés par une écriture qui secoue esprit et corps individuels et sociaux au moment où le lecteur est conduit - idée subversive s'il en est - à sentir le caractère indivisible de sa personne. Le roman devient un révélateur d’une nature que masquent les conventions et les préjugés religieux et sociaux. Se produit une jonction entre besoin de l’esprit et logique du corps, entre énergie de pensée et activité charnelle. Surgit l’homme “ naturel ” sans fond, sans masques sociaux, soumis à ses instincts charnels et chez qui “ raison ” et désir ne font qu’un en une telle « intimisation ».

 

L’auteur peut librement stimuler l’imaginaire de son lecteur-spectateur, réveiller et révéler son côté obscur et ses pulsions les plus inavouables. Libéré de la présence de l’autre un tel lecteur oublie toute autocensure, il s’autorise à participer à tous les excès. Il devient sans résistance face à cette performance théâtralisée en ce spectacle de l’intime qui confronte le lecteur au secret de ses possibles pulsions que la société soi-disant morale le contraint à refuser. Ainsi passer du théâtre contraint de la scène à un théâtre du tout dire libre jusqu’à l’excès voilà en quoi réside la stratégie de Sade romancier. Sade lorsqu’il se fait critique  le précise lui-même : il repose la possibilité du vivre ensemble. Alors et pour finir, laissons la parole au Marquis : “ L’étude profonde du cœur de l’homme, véritable dédale de la nature doit nous faire voir l’homme non pas seulement tel qu’il est ou qu’il se montre , c’est le devoir de l’historien, mais tel qu’il peut être, tel que doivent le rendre les modifications du vice et les secousses des passions ”.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


D.A.F. de Sade - « Justine et autres romans », éditions établies par Michel Delon et Jean Deprun, coll. La Pléiade, Gallimard, Paris, 2014 


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