L’Hôtel du futur : L’étrange révolte de Gazdanov

Gaïto Gazdanov nous revient. Circé la magicienne nous donne de ses bonnes nouvelles. Né en 1903 à Saint-Petersbourg, où il grandit, Gazdanov participe à la guerre civile russe aux côtés de l’armée blanche. La Russie des Bolcheviks s’empourpre ; Russe blanc, Gazdanov débarque à Paris en 1923 pour y prendre ses leçons d’humanité grandeur nature : il sera ouvrier chez Citroën, étudiant alternatif à la Sorbonne des philosophes et chauffeur de taxi (relire ses admirables Chemins nocturnes chez Viviane Hamy, 1991). Provisoirement exilé, il attend la fin de la révolution et commence à écrire en russe. Ses compatriotes ne le lisent pas, il ambitionne de devenir un « écrivain russe de langue française » : sa Soirée avec Claire (1929) révèle un auteur talentueux qui rencontre le succès. En attendant, la révolution s’éternise et l’exil se prolonge. Gazdanov meurt à Paris en 1971, boudé par les Français qui l’ont vite oublié. Jamais traduit en russe jusque dans les années 90, il connaît chez lui un succès posthume mérité. On finit toujours par être prophète en son pays.

 

Mais quel est le pays de Gazdanov ? L’Hôtel du futur nous donne une définition de l’étrangeté de cet univers. L’auteur y loge des personnages bizarres : prostituées, clients, fantômes citadins, homosexuelles en costumes d’hommes, révoltés, apprentis suicidés, lecteurs d’Anatole France et autres exilés qui se heurtent aux murs pesants de la réalité. Tous ignorent ce qu’est la mer et sont accoutumés à leur cage comme des perroquets. La perception tridimensionnelle, étriquée de chacun d’entre nous, est élargie par la lecture à travers le temps et au-delà des limites sensorielles. Il suffit de compter parmi les initiés. Voilà qui sonne comme un manifeste surréaliste, à ceci près que Gazdanaov n’est pas de la paroisse d’André Breton et qu’il a des vues personnelles sur la métamorphose ordinaire qu’il propose à ses personnages et à lui-même. Ses marionnettes naissent et meurent plusieurs fois, les exilés reviennent en rêve au pays, le ciel de Russie redevient muet après les fusillades nocturnes.

 

Gazdanov ne croit pas aux miracles proposés par les révolutionnaires patentés. Son univers est nocturne, celui des brouillards noirs de la révolte. Pour lui, le peuple a des traditions d’art et d’insouciance, c’est un costume chaud qui vaut tous les autres. Un Ascète affirme que des charlatans font l’histoire et qu’il en est le spectateur indifférent. Le monde est une sorte de cauchemar éveillé, un songe ou certain nuage aurait pris la forme d’un chameau. Gazdanov écrit quelque part : De tout ce que m’ont promis les livres, je n’ai gardé pour moi que le droit de m’insurger.

 

Une insurrection individuelle permettra à chacun d’échapper à ce semblant de vie, à cet incendie perpétuel et inutile de Moscou, à ce temps couleur de rouille, tout ce qui emmure l’existence et la consume. On a souvent l’impression de traverser la cage aux fauves et la maison des fous en lisant ces nouvelles qui décoiffent, mais on est régénéré. Que l’on m’enterre dans un cercueil de cuivre sonore comme une trompette, brillant comme le soleil et que l’on plante au-dessus de moi un grand drapeau bleu, écrit Ilia Vassilievitch, perdant magnifique. Gazdanov nous conduit de l’autre côté du miroir. Et la visite est hallucinante….    

 

Frédéric Chef

 

Gaïto Gazdanov, L’Hôtel du futur, huit nouvelles traduites du russe par  Marianne Gourg-Antuszewicz, Circé, novembre 2015, 208 pages, 24 €

 

> Eveils, Le Retour du bouddha, Le Spectre d’Alexandre Wolf sont également disponibles aux éditions Viviane Hamy.

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