Comme un Polonais, de Claude Andrzejewski : Un tiers vodka, deux tiers cognac !

La Pologne, on le sait depuis le père Ubu, c’est le nulle part de l’Histoire du monde. 1808 : les chevau-légers de Kozietulski libèrent l’armée napoléonienne du piège espagnol dans la Sierra Guadarrama. Courageux, téméraires, un peu fous, les Polonais se sont engagés aux côtés de l’empereur afin qu’il rende à leur pays cette autonomie rêvée. Parce qu’ils étaient pris de boisson plus souvent qu’à leur tour, un officier les aurait traités de « fous » ou « saouls ». La bravoure n’en serait pas moins saluée par l’empereur : « Alors messieurs, sachez être saouls (ou fous, donc) comme des Polonais ! » Quelque cent-cinquante ans plus tard, un Polonais né en Charente prend le chemin des origines et la distance nécessaire avec les clichés du Polack porté sur la bouteille.  

 

Son nom est imprononçable. Quant à l’écrire, c’est une autre paire de manches. Pourtant, retenez ce nom : Andrzejewski. Il y a en lui toute une parentèle d’écrivains du « second rayon », qualifiés tour à tour de « désemparés, discrets, modestes, désenchantés », vaguement « populistes ». Tout cela étant bien sûr élogieux. La première des six nouvelles qui composent ce recueil débute par cette phrase, délicate et sobre, au ton juste, qui annonce le menu : Toujours la vie tracasse, le monde reste aussi vaste qu’inconnu, et Célia me manque, même si c’est moi qui l’ai quittée. On croirait lire Gadenne, Bove ou autre Martinet. Excusez-du peu. La vie est compliquée, on ne sait pas où elle vous mène, un peu comme ces processions de verres enquillés au comptoir quand on suit des amis de fortune, alors qu’on s’est promis l’abstinence. Il est beaucoup question de boire dans ce livre-gigogne où les alcools se distillent gentiment. L’auteur avait le gosier en pente – Pologne oblige –, il raconte sa première cuite sous la table d’un mariage. Onze ans tout juste, quand on l’appelait encore Mes-couilles-en-ski. Puis ce furent les tournées de bar, la vie entre néon et néant pour fuir quelque chose comme soi-même, jusqu’au dégoût. Mais l’auteur le confie après avoir fréquenté un alcoologue et quelques alcooliques anonymes en compagnie de ses personnages : J’aurais aimé savoir boire mais j’ai  échoué. D’ailleurs, ce qu’il y a d’important en chacun de nous, c’est la face derrière le masque : Andrzejewski nous rappelle qu’al-kuhl se traduit par khôl ou kohol, fard noirâtre que les femmes orientales utilisent autour des yeux.

 

Des femmes il est souvent question au fil des pages. Et d’amours perdues, regrettées, mort-nées. Pas facile de trouver l’âme-sœur, un miroir dans les yeux bleus d’une jeune Charentaise. Après la vodka, le cognac, donc. L’écrivain, né à La Rochefoucauld s’efforce de trouver le bonheur à Barbezieux, entre les vignes, c’est-à-dire dans la lumière de Chardonne. Et l’auteur de citer Desnos également : Prométhée-moi l’amour. L’amour : un alcool fort aux arômes féminins, parfois, qui vous ronge le foie à mesure qu’il repousse. Le plus souvent, notre homme susurre la confidence d’une voix feutrée, s’efforçant d’effacer les vieilles ardoises devant un précipice béant de souffrance et de culpabilité. On avance sur la pointe des pieds dans ces pages tendres : Il faudrait écrire sans bruit. Avec le silence, du silence. Il y a les rencontres, aussi : madame Blanchard, la bistrotière de campagne, Pigeon, le poète au nom ridicule, des « cagouilles » – escargots – aux traces blanchâtres, des staphylocoques dorés et quelques rugbymen avinés dans le Paris-Bordeaux. 

 

Claude Andrzejweski s’est fait tout seul – tout en sachant ce qu’il doit à la Pologne, lui le roi déchu –, cancre cérébral au pied de murs de livres. La vraie vie est sans doute ailleurs, dans ces mots et ces lignes qu’on s’efforce de tirer avec patience et longueur de temps. La vie fait mal. Un proverbe polonais le dit : Tomber est permis, se relever est un devoir. Jean-Claude Pirotte, père spiritueux de l’auteur, en compagnie duquel Andrzejewski traversa la Slovaquie dans le trouble des rencontres et les vapeurs de l’alcool, aurait sans doute aimé Comme un polonais, ce recueil qui finit bien. Les démons se sont évaporés, il fait jour à nouveau et la sérénité envahit le lecteur complice d’une renaissance pudique :

Virginie m’a sauvé. […] L’ivrogne superbe que j’avais été naguère était bel et bien devenu un alcoolique de bas étage – qui constatait les dégâts. Il fallait arrêter les frais. J’ai choisi l’amour, j’ai choisi la vie. Et je suis allé, comme nu tout à coup, vers mon vrai visage. […] je ne veux plus être saoul, ni comme un Polonais, ni comme rien du tout – mais l’ai-je jamais voulu ? Tiens, voilà que je m’enrhume, j’ai éternué. Et le petit bruit que ça fait dans le jardin s’est répercuté jusqu’au fond du marais, dans la nuit maintenant claire et silencieuse.

 

Frédéric Chef

 

Claude Andrzejewski, Comme un Polonais, nouvelles, La Dragonne, mai 2016, 116 pages, 15 € 

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