François Cérésa, le vent en poupe

Sans doute a-t-il eu d’illustres prédécesseurs, à commencer par Jacques Laurent - encore celui-ci se dissimulait-il derrière des pseudos plus ou moins transparents. François Cérésa, lui, assume toutes ses productions. C’est un écrivain à facettes. Le Janus Bifrons de la littérature actuelle. D’une main, bretteur sans vergogne. Dague et flamberge au vent, à l’instar de son cher Dumas. Cape et épée, chevauchées fantastiques, aventures tumultueuses sur fond de périodes historiques mouvementées. De l’autre, conteur intimiste. Habile à faire revivre avec réalisme ceux qui lui sont chers. A construire pierre à pierre une saga familiale. Porté en outre sur l’introspection, dessinant du même coup un autoportrait en creux qui le dépeint tel qu’en lui-même : mauvaise tête et bon cœur. Tendre et cabochard à la fois. Râleur impénitent mais pas rancunier le moins du monde. Ses derniers ouvrages viennent illustrer ces deux sources d’inspiration, contradictoires, mais seulement en apparence. Car s’y retrouve le talent d’un conteur maître de son art.

 

A la seconde manière ressortit un livre qui peut être considéré comme le deuxième volet d’un diptyque consacré à ses géniteurs. Poupe (1), le surnom affectueux donné à son père, répond à Moume (Le Rocher, 2002), hommage émouvant rendu à sa mère disparue. Il en reprend le ton, la thématique, les cadres successifs, certains événements. A ceci près que les personnalités diffèrent et qu’à l’adoration inconditionnelle pour une femme avant tout aimante, fait place une célébration non moins ardente, passionnée, mais assurément nuancée.

 

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi », écrivait Montaigne de La Boétie. Le propos pourrait s’appliquer ici. Il englobe non seulement Jean Cérésa, que son fils loue comme une manière d’alter ego, mais encore les ascendants de cette famille de Ritals, venus en France pour trouver du travail, come nombre de leurs congénères, et s’y étant enracinés. Une saga dans laquelle François vient tout naturellement s’insérer.

 

Le héros, celui sur lequel se focalisent anecdotes, réflexions, considérations débouchant souvent sur des leçons à portée générale, c’est donc Poupe. Un personnage plutôt complexe. Un manuel ayant quitté l’école assez tôt, œuvrant avec talent dans le bâtiment. Ayant toutefois connu, avec la réussite, une ascension sociale qui le conduira à s’intéresser au monde des idées. A fréquenter de près des intellectuels, Jean Daniel, Edgar Morin, André Burguière, d’autres encore dont il deviendra l’ami intime. Au point de lire et de goûter leurs œuvres. De partager avec eux des vacances. De s’adonner à des sports « de riches », tennis, ski, courses automobiles. Au moral, un homme d’une rectitude absolue, bon vivant, jovial, affable et doté d’une grande force de caractère.

 

Autant de qualités transmises à François, qu’il appelle dans sa petite enfance « la Globule », avant d’opter pour « mon Grand », et auquel il ne témoignera d’abord qu’une manière d’indifférence bourrue. Ce qui ne l’empêchera pas de lui inculquer des valeurs intangibles, la probité, la valeur du travail, la supériorité du « faire » sur le « dire ».

 

De tout cela, qui marque une vie, François se souviendra toujours. Les relations avec son père évoluent du reste avec le temps, au fur et à mesure que le narrateur acquiert une pleine conscience de la valeur de ce dernier – et réciproquement. Estime et tendresse. Le biographe en déroule le fil, adoptant une vague chronologie, musardant çà et là, au fil des souvenirs. Il alterne le récit et le dialogue avec un père que, par-delà la mort, il n’a cessé de chérir. Parfois, des considérations sur le monde, sur l’époque : « Tu n’ignorais pas l’ordre des choses. Cette époque folle où tout triche, s’exhibe, s’avarie, s’abaisse, se dégrade, s’enlaidit, n’était plus la tienne. Le sens de l’effort est une notion dépassée. Je ne parle même pas de sacrifice. Et encore moins d’exemple. ».

 

Quant au style, ses lecteurs le connaissent. Les familiers des romans et des essais, ceux de Service littéraire, le mensuel qu’il a créé et dirige. Direct, identifiable entre mille. Ils savent que Cérésa se damnerait pour un calembour (le titre de cet article ne le choquera pas…). Ici, le sujet est trop intime, l’émotion trop intense pour qu’il se livre aux plaisanteries dont il est coutumier. En revanche, l’imprégnation – l’innutrition, disaient les poètes de la Pléiade – de son cher Hugo est telle qu’il use sans retenue des formules bien frappées. Des aphorismes. Des antithèses qui font mouche.  Elles rythment le récit. Lui sont devenues consubstantielles, même lorsqu’elles ne s’imposent pas. « Tout se termine car tout est terminé avant d’avoir commencé ». Bref, du pur Cérésa.

 

Au détour, cette confidence : « J’aurais dû choisir une autre époque. Vivre sous la Révolution ou l’Empire, mourir à la guerre, sabre à la main. » Un regret que l’auteur de Poupe exorcise par un retour périodique à la grande Histoire et que vient illustrer Mariage républicain (2), deuxième volet d’une trilogie romanesque entamée avec Le Lys Blanc (L’Archipel 2015). Ce blog s’est fait, en son temps, l’écho d’un roman historique qui répond à tous les critères du genre  et témoigne de la capacité de son auteur à marier harmonieusement connaissance érudite d’une période et imagination bouillonnante.

 

Ce Mariage républicain présente, il va sans dire, les mêmes qualités. On y retrouve Marie, qui a abandonné son ancien prénom de Marie-Antoinette, trop connoté, depuis qu’abusée dans sa jeunesse par un aristocrate, le comte de La Roche-Pitray, elle a embrassé le camp des Révolutionnaires. De ce viol est né un enfant, Maximilien, enlevé par un dangereux bandit contre-révolutionnaire, le Lys Blanc. Nous sommes sous la Convention. Marie va croiser en Vendée, où elle a été envoyée en mission, des personnages bien connus, les généraux Kléber, Westermann et Marceau, d’autres qui le sont moins, comme le capitaine Louis, dont elle est amoureuse. Et enfin le Lys blanc en personne.

 

On se gardera d’entrer dans le détail d’une intrigue nourrie de rebondissements aussi nombreux qu’inattendus. Avec la Terreur et l’élimination de Danton et d’Hébert, le doute s’insinue : et si Marie n’avait pas choisi le bon camp ?  La voici bientôt agent double au service de Fouché, puis prisonnière de Carrier, à Nantes, qui la soumet à un atroce supplice : entravée à son compagnon, elle est condamnée à être jetée dans la Loire. C’est le fameux mariage républicain qui donne son titre au roman. « On liquidait entre deux et trois cents personnes par jour », précise l’historien. Qu’on se rassure : Marie en réchappera. Elle n’aura dès lors de cesse de se venger, de retrouver son fils et de découvrir enfin l’identité du Lys blanc.

 

Remarquable, une fois encore, l’alacrité d’un récit qui tient de bout en bout en haleine. Plus que celle de Victor Hugo, c’est la veine d’Alexandre Dumas que François Cérésa exploite ici. Sa plume bondit et caracole. De son ami Alphonse Boudard, il a retenu l’art des dialogues qui s’insèrent avec naturel dans la narration sans en interrompre le cours ni le rythme. Une parfaite maîtrise de procédés dont la conjugaison assoit, en définitive, l’originalité d’un romancier polymorphe.

 

Jacques Aboucaya

 

1 – François Cérésa, Poupe, Le Rocher, septembre 2016, 276 p., 18,90 €.

2 – François Cérésa, Mariage républicain, Le Lys blanc **, L’Archipel, juin 2016, 320 p., 20 €.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.