L’insouciance de Karine Tuil : Les nouvelles illusions perdues
Karine Tuil aime l’idée de la chute et des blessures de la vie. Il y a donc le syndrome de stress post-traumatique de ceux qui ont vu la mort de près, mais aussi les difficultés d’Osman, politicien noir, écarté du pouvoir et le drame de Vély, dont l’ex-femme se suicide quand il lui annonce sa liaison avec Marion Decker, journaliste nourrie à l’extrême gauche radicale.
L’écrivain s’attaque à de si nombreux thèmes et maux de notre époque, que le lecteur en premier abord peut ressentir un vertige. Problèmes d’identité – Osman est toujours renvoyé à sa banlieue, Vély à ses origines juives malgré une éducation chrétienne – de la difficulté de la diversité dans les sphères élitistes, passion amoureuse compromise, repli communautaire, affirmation de soi, inégalités sociales, fabrique de l’islamisme : le roman fonctionne comme une radiographie de la France d’aujourd’hui et de ses illusions perdues.
Mais l’écrivain, comme Balzac, nous entraîne à sa suite par sa puissance narrative, la force de ses personnages à la fois forts et fragiles, par une connaissance fine et précise de tous les maux de notre société et de l’air du temps. À l’image du formidable L’Invention de nos vies, qui rata de près le Goncourt, Tuil se passionne ici pour les guerres du monde mais aussi les guerres intérieures, la place sociale que l’on peut obtenir, la mue sociale nécessaire pour y arriver.
La conclusion, d’une brutalité extrême, fera tomber les derniers masques : on n’échappe pas à ses origines ni à ses faiblesses.
Un grand livre, porté par le souffle d’un écrivain en prise avec son époque et ses conflits. L’Insouciance ou plutôt sa fin sonne comme un cri d’alarme.
Ariane Bois
Karine Tuil, L’Insouciance, Gallimard, août 2016, 522 pages, 22 €
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