Tropique de la violence de Natacha Appanah : L’île aux enfants perdus

Elle l’a appelé Moïse, cet enfant venu de l’eau que sa mère, une migrante arrivée sur une plage de Mayotte, lui a confié tel un paquet précieux avant de s’enfuir. Elle, c’est Marie, infirmière née dans les montagnes de métropole avant que l’amour pour un bel homme de l’île aux parfums ne l’emmène dans ce 101e département français. Mais l’idylle sera de courte durée : Marie n’arrive pas à tomber enceinte et le couple se sépare. Alors, quand à l’hôpital arrive cette jeune étrangère qui la supplie de garder son fils, Marie saisit sa chance. Moïse, le bébé qui possède un œil vert et un œil noir, sera son fils.

 

Le bonheur sera hélas de courte durée et, après une enfance choyée, celui-ci se retrouve mineur à la rue, soumis à la violence, aux larcins pour survivre, à la drogue et aux combats. Bruce, le chef de Gaza, le surnom du bidonville où croupit cette jeunesse sans avenir, le remarque et essayera de le briser.

 

Avec la sensibilité, le talent et la poésie qu’on lui connaît, et dans une langue toujours aussi chatoyante, Natacha Appanah raconte l’autre pendant de l’île au lagon paradisiaque, ce département gangrené par la misère, le clientélisme, l’inertie des pouvoirs publics. « Mayotte, c’est la France, et ça n’intéresse personne », fait dire l’auteur à un de ses personnages. Dans ce territoire au bord du chaos, Moïse est l’enfant né au mauvais endroit, au mauvais moment.

 

Bébé abandonné à l’image de l’île délaissée, seul noir élevé dans un monde de blancs, adolescent cultivé dans une communauté d’enfants sauvages, il n’a aucune chance. Plusieurs voix dans le récit vont raconter le drame qui se noue en des pages sèches et nerveuses – Olivier le policier, Bruce le chef mafieux, Marie la mère partie trop tôt, Stéphane l’humanitaire – et donner vie à cette tragédie sous fond de vies cassées, de mer violée par les morts et le sang des migrants prêts à tout pour s’en sortir. Tristes tropiques assurément.

 

Ariane Bois

 

Natacha Appanah, Tropique de la violence, Gallimard, août 2016, 175 pages, 17,50 €

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