Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby : L’écume de leurs jours

Au café Le Balto à La Roche-Guyon, Paul, dit Paulot, le patron, c’est le roi. En 1952, il fait vivre la ville, résonner les rires, chanter les voisins. Odile, sa femme, Annie, sa fille aînée, Jacques, le fils, et Mathilde, la dernière, ne peuvent que contempler en adoration ce monarque dans son petit royaume, heureux du bonheur des autres. Mais bientôt, des mots étranges s’invitent dans le vocabulaire familial : bacilles, pleurésie, phtisie, sanatorium. Paul a attrapé la tuberculose, cette peste blanche qui s’attaque aux poumons et laisse exsangues même les plus valeureux. Mais l’on n’est pas chez Boris Vian et la maladie raconte aussi les rapports de classe. Ce sera le début de la chute, le départ du café, l’exclusion de la ville, la trouille gênée des copains, la misère qui s’invite, la perte de l’appartement.

 

Se soigner coûte cher et Paul, comme sa famille, ne bénéficie pas de la sécurité sociale toute neuve. Je vous parle d’un temps où les artisans devaient cotiser de manière privée et beaucoup, faute d’économies, ne le faisaient pas. La dégringolade sociale est racontée par Mathilde, la fille que son père aurait voulu garçon, et qui aime celui-ci d’un amour fou. C’est sur elle que tout va reposer : petit cheval courageux dans la tempête, elle se démène pour travailler, trouver de l’argent, donner des nouvelles des uns aux autres. Le clan a en effet éclaté, les parents sont logés au sanatorium d’Aincourt, une bâtisse blanche et imposante qui fait penser à un grand paquebot dans les arbres, tandis que les enfants sont placés dans des familles d’accueil, un terme parfois si peu approprié. Dans cette France des Trente Glorieuses, l’adolescente semble bien seule face à un tel fardeau : c’est son combat, sa force et son audace que raconte ici Valentine Goby.

 

L’écriture, fine et sensible, est d’une beauté implacable et d’une compassion qui rend la lecture à la fois douloureuse et compulsive.

Comme pour l’excellent Kinderzimmer, l’auteur s’attache à décrire celles qui n’ont plus rien et tentent d’arracher un peu de dignité à un monde qui les oublie, les exclut et les tue. On n’oubliera pas de sitôt Mathilde et les siens, simples héros broyés par la vie et cette saleté de maladie, vaincue aujourd’hui d’un simple vaccin.

 

Ariane Bois

 

Valentine Goby, Un paquebot dans les arbres, Actes Sud, août 2016, 267 pages, 19,80 €

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