Les insatiables de Gila Lustiger : Crimes et châtiment

Pourquoi le journaliste Marc Rappaport refuse-t-il de s’en tenir aux quelques lignes qu’un fait-divers devrait occuper dans son journal ? 27 ans plus tôt, une très jeune escort girl, Émilie T, a été retrouvée morte à Paris : grâce à l’ADN, on arrête enfin un homme, Gilles Neuhart, marié, calme et équilibré, apprécié de ses voisins, qui étrangement ne se défend pas contre cette grave accusation. De Marseille aux bas-fonds de Paris, le journaliste mû par son intuition enquête, retrouve les policiers qui avaient travaillé sur l’affaire, remonte les pistes.

 

Mais ce qui commence comme un policier bien ficelé devient sous la plume de Gila Lustiger, écrivain née en Allemagne à qui l’on doit le bouleversant Inventaire (Grasset), la dénonciation d’un scandale politico-sanitaire de première ampleur. Une entreprise française décide en effet en toute connaissance de cause de commercialiser une molécule hautement cancérigène, même si les ouvriers de ses usines sont ainsi exposés à des risques accrus de cancer du rein.

 

Les insatiables du titre, ce sont les géants de l’industrie chimique, mais aussi les hommes politiques, les notables, tous ceux qui savaient mais ne parlaient pas. Le prix du silence est celui de la, corruption, celui de la vie humaine réduite à un calcul cynique. On suit un médecin du travail, lanceur d’alerte avant l’heure, qui cherche à alerter en vain l’opinion, le reporter qui effaré découvre le scandale et les gens modestes qui dans des villes loin de tout, dans des communes sinistres, s’éteignent sans bruit.  

 

On songe à Gérard Mordillat et à cette volonté semblable de décrire une machine à broyer, un scandale d’état dans un roman sociétal passionnant et au ton toujours juste. Le puzzle de faits et de fiction se met en place lentement, rythmé par une écriture vive et sensible et par cette interrogation qui revient sans fin et semble s’imposer pour cet auteur, née après la guerre en Allemagne, dont le regard sur l’holocauste transparaît dans toute l’œuvre : à partir de quand perd-on son humanité et laisse-t-on le mal entrer dans nos vies ? Poignant.

 

Ariane Bois

 

Gila Lustiger, Les insatiables, Actes Sud, septembre 2016, 384 pages, 23 €    

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