Interview. Guillaume Chérel : « Aborder des sujets graves voire sérieux avec légèreté »


C’est à la fois un drôle de livre et un livre drôle, mettant en scène la disparition mystérieuse dans un monastère des dix écrivains français les plus célèbres du moment. C’est un écrivain atypique, auteur de plusieurs romans et essais, un électron libre. Rencontre.

 

— D’où vous est venue l’idée de votre dernier livre : Un bon écrivain est un écrivain mort ?

J’étais en résidence au monastère de Saorge (Alpes-Maritimes) décrit dans Un bon écrivain est un écrivain mort, en train de travailler sur un roman (noir) qui se passe en Mongolie et… un jour que j’étais dans la cuisine avec Francesco (lui aussi décrit dans le livre), j’ai plaisanté en disant que je n’étais pas Guillaume Chérel mais un usurpateur et que j’avais rencontré le vrai dans le Train des Merveilles qui part de Nice et traversé la vallée de la Roya… Bref, j’ai soudain réalisé que ce monastère serait un lieu idéal pour écrire un polar à la manière d’Agatha Christie : comme dans Les Dix petits nègres. Tout est parti de là. J’ai fini par laisser en plan mon roman mongol et me suis lancé dans ce pastiche de roman « policé » que j’ai proposé à Mirobole, ce petit éditeur indépendant bordelais dont j’appréciais les couvertures et les traductions : je suis le seul et premier Français publié chez eux. Tout est sorti en deux mois, comme une éponge je n’ai eu qu’à presser. Avec le mois de réécriture, corrections, etc., c’est la première fois que j’écris un roman (pas de commande) en si peu de temps. J’ai d’ailleurs été aidé en cela à la fin, pour être prêt pour la rentrée, par un collègue auteur, Laurent Bettoni, qui m’a suggéré des passages à réécrire ou corriger. Nous n’étions pas toujours d’accord, comme avec Sophie Delamarlière, mon éditrice de Mirobole, mais la mayonnaise a pris. Elle s’attendait à un roman policier façon détective avec des auteurs inconnus, mais mon cerveau m’a dicté d’écrire un pastiche, une farce, une pochade, avec des personnages connus. Sans oublier Oscar Wilde et son neveu Arthur Cravan. Mais je ne dois pas trop en dire… si vos lecteurs n’ont pas encore lu ce chef-d’œuvre (d’humour).

 

— Vouliez-vous dénoncer certains travers du milieu littéraire germanopratin ou simplement vous amuser (et amuser le lecteur) ?

Dénoncer n’est pas le mot : brocarder plutôt, moquer, en faire le portrait avec humour plutôt qu’avec agressivité, car non seulement le message passe mieux mais, connaissant très bien ce milieu pour l’avoir côtoyé durant 20 ans, en tant qu’auteur et critique littéraire, je savais que j’aurais été taxé d’aigreur et/ou de jalousie, ce qui est parfois le cas malgré le ton de farce grotesque. Il est vrai toutefois que c’est pour moi autant un pamphlet qu’un pastiche, donc un « pamphliche » comme me l’a suggéré un ami ; car je m’élève contre la pipolisation, la marchandisation de la littérature qui véhicule de fausses valeurs, des imposteurs. Je ne conteste pas l’existence de ces auteurs à la mode – qui eux-mêmes contestent la légitimité littéraire de plus gros best-sellers encore, comme Marc Lévy et Guillaume Musso par snobisme intellectuel –, mais la place qu’ils prennent de plus en plus. Faisant de la littérature un produit de consommation comme les autres, destinés au loisir et à la vente en grand nombre pour faire de l’argent avant tout. Enfin, si je peux m’amuser et faire rire les lecteurs alors c’est un mini-miracle rarement atteint. J’ai ri tout seul parfois en écrivant certaines scènes ; c’est la première fois que ça m’arrive, notamment celles mettant en scène Amélie « Latombe » que j’apprécie comme personnage… dans la vraie vie. 

 

— Comment ont réagi les personnages réels à peine déguisés mis en scène dans votre roman ?

Et bien figurez-vous qu’un ami qui était allé à la rencontre d’Amélie Nothomb pour lui faire dédicacer un livre lui a montré le début du passage qui la concerne et il m’a dit qu’elle avait ri. Je viens de lui faire envoyer le livre chez son éditeur… On verra. Je n’ai aucune réaction des autres auteurs et je ne suis pas surpris : d’une part parce qu’ils sont très susceptibles et que si leur ego est attaqué, ils savent que la meilleure défense est le mépris : faire comme si ça n’existait pas. Je n’existe pas pour eux, tant que je ne suis pas « bankable ». Le livre commençant à bien marcher ça peut changer. Je l’ai envoyé à Frédéric Beigbeder que je connais personnellement et… rien. Pas de réaction. Il faut dire que je dresse un portrait de lui plein de tendresse – ce sont les lecteurs qui me le disent – mais aussi très lucide à mes yeux évidemment. Pareil pour David Foenkinos (Mikonos) et Yann Moix (Moite) que j’ai côtoyé de près. Ils n’ont aucun intérêt à me faire de la publicité. Enfin, Delphine de Vigan (Végane) est ma voisine de bureau. J’ai déposé mon livre dans sa boîte aux lettres, elle m’a dit avoir juste lu le début puis s’être arrêtée, ajoutant que je ne connaissais manifestement pas son travail alors que je lui ai dit que j’avais lu ses deux derniers livres que j’ai plutôt appréciés d’ailleurs. Non, aucune réaction. Et ça intéresse plus les lecteurs que moi d’ailleurs… parce j’ai écrit ce que j’avais à dire sur le sujet : je me suis défoulé, tout va bien. En me moquant de moi-même, en plus, c’était logique et plus sportif.    

 

— Votre prochain livre sera-t-il dans la même veine, à la fois pamphlétaire et parodique ?

Non, pas du tout. Je vais tâcher de terminer ce roman « mongol » mais en plus léger finalement puisque je me suis découvert un talent d’humoriste : les gens se marrent en lisant ce livre. Quel pied ! Je me souviens avoir ri en lisant John Irving ou Pennac, c’est rare. Alors je vais essayer de rester dans cette veine : aborder des sujets graves voire sérieux avec légèreté, ce qui est beaucoup plus difficile qu’on ne le croit.

 

— En général, quelles sont vos sources d’inspiration ?

La vie. Mon expérience de la vie. Mes voyages et ma vie privée. J’aime mélanger réalité et fiction. Tout est dans la manière d’écrire, le fameux style. La vie est là, à portée de main, il ne reste qu’à s’en servir pour tenter de créer une œuvre d’art… C’est un bien grand mot mais c’est la différence avec le journalisme, mon premier métier. Mes voyages donc, mon passé, mon vécu, mes idées… Ce n’est pas l’inspiration que je cherche, c’est la concentration. D’où mon séjour au monastère de Saorge, trois mois durant, l’été 2015.

 

— Rédigez-vous un plan à l'avance ou laissez-vous courir vos doigts sur le clavier ?

Je rédige un vague plan… dans ma tête. C’est mon principal défaut, je crois : ne pas faire de plan. J’ai besoin de beaucoup réécrire après le premier jet. Mes doigts ont tendance à « courir » sur le clavier effectivement (avec seulement deux doigts, si ça vous intéresse…) comme un pianiste de jazz et j’essaie d’aller aussi vite que ma pensée, ce qui fut très difficile pour ce roman marrant parce que je riais tout seul de mes idées sans avoir le temps de les transposer sur l’écran. Mais je retravaille beaucoup derrière. J’écris comme un cheval (fou ?) au galop mais relis et réécris et re-dis mon texte après… des dizaines, centaines de fois : le meilleur outil de l’écrivain étant la corbeille à papier, comme disait Hemingway, qui évoquait également le « détecteur de merde intégré ». Le mien ne fonctionne pas suffisamment donc j’ai besoin de relecteurs, et « trices » derrière.

 

— Êtes-vous un grand lecteur ? Quels sont les livres qui vous ont façonné, fabriqué ? Et quels sont ceux qui vous accompagnent aujourd’hui ?

J’ai beaucoup lu. Moins maintenant peut-être alors que c’est devenu mon métier. Jack London est mon maître. Je lui dois tout ou presque. Je reviens toujours à lui. Martin Eden donc… mais comme je suis éclectique je lis de tout du moment que c’est bon. London donc, mais aussi Kerouac et Hemingway (j’ai écrit des récits de voyage sur chacun d’eux) comme Blaise Cendrars, Melville, Stevenson, Conrad, Istrati, Cossery, des voyageurs et des polardeux : Hammet, Chandler, Ellroy, Crumley, Bunker, Pouy… Mais aussi Fante et Bukowski, Henri Miller ; la liste serait trop longue. J’adore Jim Harrison que j’ai eu la chance d’interviewer plusieurs fois et qui était un homme fascinant. Des collègues auteurs aussi : j’aime lire les livres de Serge Joncour et Philippe Jaenada ; ça m’amuse d’essayer de les rattraper comme en sport, chacun dans notre genre : il s’agit d’émulation plus que de compétition.  

 

— Qui trouve-t-on dans votre bibliothèque ?

Les auteurs que je viens de citer mais aussi des dizaines, des centaines d’autres évidemment. Cela va de Céline à Ernaux. Je suis très curieux et éclectique je vous l’ai dit. En France on aime mettre des étiquettes sur les auteurs et leurs livres : noirs, blanc, polar, voyage, littérature, poésie… Je suis contre le sectarisme en général et refuse qu’on me mette en bouteille. À mon humble niveau, je me sens ainsi plus proche de Vian, Cocteau, Topor que de… Didier Van Cauvelart par exemple. Et encore il semble qu’il tente de se diversifier. Pas question d’écrire le même livre chaque année. Je ne suis pas un fonctionnaire de l’écrit mais un électron libre. 

 

— Vous souvenez-vous de la première phrase que vous avez écrite et du moment où vous avez eu envie de devenir écrivain ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?

La première phrase non mais le premier texte oui : ça s’appelait Sorbonnamour et ça se voulait le scénario d’un film qui se serait passé à la Sorbonne. Assez mauvais, immature mais il y avait des fulgurances, je crois. J’avais 20 ans. J’ai dû attendre 33 ans… l’âge de qui vous savez à sa mort, pour naître en littérature, et encore c’était un polar, genre parfois méprisé par les prétendus garants du « bien écrire » : c’était un Poulpe, comme on disait, de la collection du même nom, qui se passait à la Réunion où j’ai vécu un an : Tropique du Grand Cerf (1997, ed. Baleine). Mais mon premier « grand » roman (Blanc/Noir) c’est Les Enfants rouges paru chez Flammarion en 2001, qui m’a fait connaître un peu. Il est réédité en numérique chez E-fractions sous le titre Il était une fois la banlieue rouge. J’ai eu envie d’écrire grâce à Jack London. J’ai su ce que je voulais faire plus tard après avoir lu Martin Eden. N’ayant pas pu être footballeur, j’ai voulu être écrivain, ce qui signifiait pour moi être libre mais aussi un « intellectuel », un artiste, et un homme d’action engagé… Pour résumer. Quant à savoir pourquoi, je pense que ce sera le sujet d’un futur livre en projet où je pense raconter comment je suis devenu « écrivain » ; je mets des guillemets parce que je ne suis pas sûr du tout d’en être un. Balzac et Flaubert, comme Tolstoï et Dostoïevski sont des écrivains. Guillaume Chérel… ça reste à prouver. Je suis réaliste. Un bon écrivain, c’est celui dont on se souvient quand on a oublié tous les autres… J’écris parce que le monde tel qu’il est ne me suffit pas, je crois. Je vais donc raconter toutes les étapes qui m’ont amené à me mêler d’écrire… Et à parvenir à publier… et à crever de faim ! ah ! ha !   

 

— L’écriture est-elle chez vous une seconde peau ? Êtes-vous constamment en éveil ? Prenez-vous beaucoup de notes ? Vous astreignez-vous à une régularité ?

Oui je vis, rêve et chie écrivain. Tout me ramène à cette passion. Ce besoin plutôt. Mais je peux ne pas écrire… surtout après avoir terminé un roman, ce qui est épuisant, même physiquement. Je ne suis pas Rainer Maria Rilke. Je trouve qu’on se gargarise trop en France avec l’art d’écrire… Qui est quand même moins dur que l’usine et trop souvent de la branlette intellectuelle, si vous me permettez l’expression. De l’intello-chiant, comme dirait Augustin Traquenard dans mon roman. Je prenais beaucoup de notes à mes débuts. Maintenant seulement la nuit pour ne pas oublier quand mon cerveau est en ébullition. Je suis à l’affût de toutes les idées, phrases, mots, concepts, images, scènes, sensations oui en général et plus encore quand j’écris un livre, ce qui m’arrive pendant deux ans au moins depuis vingt ans… donc mon cerveau est rarement au repos. Sauf quand je regarde du foot ou vais au cinéma ; et encore…   Oui quand j’écris j’ai une discipline de vie stricte : levé tôt, sport-gym, écriture jusqu’au déjeuner, sieste, relecture ou activité physique, le soir repos… J’écris le matin tôt. Tout doit être réglé, rangé dans ma tête et chez moi. Sans musique, dans le silence : on n’entend que le cliquetis de mes doigts sur le clavier. La régularité est le maître mot. La vie d’écrivain est souvent spartiate et ascétique… enfin sauf l’été la nuit… Hips !

 

— Quel est votre rapport à la réalité ?

C’est mon grand problème… pour moi l’argent n’existe pas par exemple. Ou plutôt il n’a pas de valeur. Mais je peux être raisonnable, pragmatique, quand il s’agit d’instinct de conservation. Nourrir ma fille par exemple ou effectuer correctement mon travail, respecter mon prochain, etc. Si j’écris, c’est sans doute parce que je refuse la réalité, à commencer par la mort. J’écris sans doute pour lutter contre l’absurde et l’injustice. Créer une œuvre d’art est une manière de conjurer la mort. Je crois à l’immortalité et à l’éternité. L’infini existe bien. Et toc !   

 

— Que vous apporte l’écriture ?

Euh… pas d’argent en tout cas mais de la fierté. Je suis fier d’avoir terminé ces putains de truc qu’on appelle des livres, comme un artisan ou un artiste. J’ai l’impression d’avoir apporté ma pierre à l’édifice et de résister à la connerie humaine. La littérature plus que l’écriture m’apporte de l’oxygène. L’écriture c’est dur. On ne peut rien sortir de bon en écrivant en dilettante. Même pour Un bon écrivain est un… j’ai beaucoup travaillé, du matin au soir, de 7 h à 19 h parfois et 20 ans d’expérience m’ont permis de le terminer.

 

— Quelle est et quelle devrait être la place de l’écrivain dans la société actuelle ?

Elle devrait être plus importante évidemment. Un écrivain c’est un homme, ou une femme, qui lance des flèches dans le ciel. Comme Moctzuma, je crois. Une société en pleine régression, que ce soit religieux, politique, économique, a besoin d’écrivains qui tirent la sonnette d’alarme ou nous font rêver. 

 

— Finalement, à quoi sert la littérature ?

À résister. À être moins bête… Plus intelligent. Plus poète. Artiste. La littérature ne peut pas changer le monde mais « de » monde. Elle peut aider des individus à changer leur vie. Donc un peu le monde quand même… Goutte après goutte. Pierre après pierre. Mot après mot. Phrase après phrase. Livre après livre. Mais je ne me fais pas d’illusion : suffit d’aller chez les bouquinistes et les solderies où l’on trouve Hugo à 2 euros, quand ce n’est pas la poubelle. Écrire, c’est rêver les yeux ouverts, vivre dans deux mondes en même temps et s’exprimer sans être interrompu. Olé !

J’ai dit.  

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (décembre 2016)

 

Guillaume Chérel, Un bon écrivain est un écrivain mort, Mirobole, septembre 2016, 240 pages, 19,50 €

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