Michel Tremblay : « Momaaan… C’est juste une question que je veux te poser… »

Michel Tremblay est sans doute la plus grande lacune des lecteurs français. Cinquante-trois ans d’écriture, trente pièces de théâtre – régulièrement jouées dans le monde entier –, autant de récits, romans et chroniques, et pourtant, cet écrivain québécois de soixante-quatorze ans, adulé outre-Atlantique, est un parfait inconnu en France.

Les admirateurs français de l’œuvre de Michel Tremblay existent cependant, mais leur adoration, sans équerre ni compas, est toute maçonnique, et l’initiation, en général, se fait par amitiés interposées. La loge se réunit parfois à la librairie du Québec pour rencontrer le Grand Maître, mais les apparitions sont rares et, lorsqu’elles se produisent, sont remarquées rue Gay-Lussac.

L’œuvre de Michel Tremblay est un immense puzzle où d’une pièce à l’autre, d’un roman à l’autre se croisent les mêmes personnages, mélanges habiles de réalité et de fiction. On ne se perd pourtant pas dans cette saga familiale qui prend la forme d’un arbre généalogique littéraire sur la trace des ancêtres paternels et maternels. Les Chroniques du Plateau-Mont-Royal, Le Gay Savoir, Les Cahiers de Céline sont autant de cycles romanesques narrant la vie, les bonheurs et les malheurs de Rhéauna, de Gabriel, d’Albertine, de l’oncle Josaphat, de Ti-Lou et de Michel lui-même (ou son double).

Au cours des neuf dernières années, les adeptes ont suivi les romans d’un autre cycle, La Diaspora des Desrosiers, consacré aux mêmes personnages de cette comédie humaine canadienne. L’auteur, au terme de cette ennéalogie, est alors entré dans un post-partum qui le laissait vide de tout projet. C’est une revue, Châtelaine, qui, lui commandant l’écriture d’un conte de Noël, a fait ressurgir de la mémoire de Michel Tremblay des fragments de souvenirs qui constituent aujourd’hui les « instantanés » de ces Conversations avec un enfant curieux parues chez Léméac/Actes Sud. Tout est parti d’une réminiscence, celle de la crèche familiale au milieu de laquelle reposait un petit Jésus gros comme un éléphant et qui avait l’air de se moquer du monde. L’écrivain, séduit par ce souvenir drolatique, a laissé remonter en lui des images de sa petite enfance, les a emmagasinées et, pendant trois mois, à Key West, les a rassemblées sous la forme de ce « roman réactionnaire » sans narration, ni description ou psychologie, ne conservant que les dialogues entre le petit Michel et ses interlocuteurs.

Le rire n’est jamais absent des romans et des pièces de Michel Tremblay. Il passe par la langue des personnages, la plus expressive et la plus drôle qui soit, le joual, qui donne aux dialogues une vérité et une sincérité troublantes. On ne saurait trop conseiller la lecture de l’hilarant roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux, paru en 1973, où ce parler populaire – exotique au lecteur français – gagne ses lettres de noblesse.

Le personnage le plus attachant de toute l’œuvre de Michel Tremblay, c’est sa mère, Rhéauna – Nana, pour les intimes. Dans ces Conversations, elle subit les assauts de son fils Michel, garçon naïf et sincère qui veut tout comprendre. On la retrouve, avec sa bonhomie, son franc-parler et ses habitudes de mère au foyer des années 1950, pleurant à la mort du personnage insignifiant d’un radioroman, redoutant l’arrivée de la télévision et refusant de croire que la Vierge de Fatima ait pu un jour s’adresser aux Canadiens (« Ben oui, mais quand a’ vivait, la Sainte Vierge, le Canada avait pas encore été inventé ! A’ peut pas le connaître ! »).

Il est beaucoup question de religion dans ce recueil d’instantanés : pourquoi Jésus est-il venu au monde dans une mangeoire d’animaux ? Pourquoi les Rois mages, après être allés donner des cadeaux à l’enfant Jésus, sont-ils partis le dénoncer auprès du méchant roi Hérode ? Comment le Père et le Saint-Esprit ont-ils pu avoir un enfant ensemble ? Pourquoi Jésus n’est-il pas un petit noiraud mais un grand blond aux yeux bleus ? Il y a du Voltaire derrière cette naïveté qui ne reçoit, comme unique réponse, de ses parents et de son institutrice au nom de chien, qu’il faut croire et ne pas chercher à savoir.

Ce livre entre également dans l’intimité des souvenirs de Michel Tremblay, qui, pour beaucoup, sont ceux de ses lecteurs : la peur de perdre un jour sa mère après avoir vu Bambi, le passage au livre sans images, l’apprentissage de la musique classique, la découverte qu’un petit garçon doit cacher à son père son goût pour les poupées découpées, la constitution des goûts littéraires, la lecture dans sa tête et l’envie de ne jamais grandir…

Cet enfant curieux, aussi tannant soit-il par ses questions intarissables, touche par sa candeur et sa soif de maîtriser le monde qui l’entoure. On retrouve dans ces Conversations toute la tendresse et la drôlerie des nouvelles de Bonbons assortis que Michel Tremblay avait ensuite adaptées au théâtre. Gageons que ces instantanés connaîtront bientôt le même sort.

Stéphane Maltère

Michel Tremblay, Conversations avec un enfant curieux, Léméac/Actes Sud, avril 2017, 152 pages, 18 €

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