Franz-Olivier Giesbert : "On t’appelle Belle d’amour"

« Il y a deux catégories d’écrivains : le démiurge et l’inspiré. D’un côté, celui dont les créatures sont les marionnettes. De l’autre, celui qui répète ce qu’elles lui soufflent : les personnages deviennent alors les vrais auteurs du roman. »

C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Olivier, le romancier-narrateur de Belle d’amour (Gallimard, 2017). Ce double – par bien des aspects – de Franz-Olivier Giesbert est professeur d’Université, spécialiste de l’Islam et du Moyen-âge. Au cours de sa carrière, il a eu le malheur d’écrire un essai sur l’esclavage en terre d’Islam qui l’a conduit à un éreintement en règle de la part de la presse. Chat échaudé craignant l’eau froide, il compte désormais, à plus de cinquante ans, se servir de ses compétences d’historien pour un roman sur les croisades, dicté par une héroïne qui vit en lui, Tiphanie Marvejols, tout droit venue du XIIIe siècle. Cette muse médiévale, introuvable dans La Vie de Saint Louis, le guide à travers son histoire qui tient à la fois de la petite fille aux allumettes et de Candide, l’ironie en moins.

En 1246, Tiphanie voit mourir ses parents, des Cathares qui, n’ayant pas abjuré leur foi, sont brûlés au château de Montségur. La pauvre orpheline s’enfuit, un sac d’or entre les cuisses, pour retrouver sa tante, Éléonor Espinasse, qui ne tarde pas à mourir à son tour… Elle tombe entre les mains de l’horrible Charles Jean-Bon, le bien nommé, qui la vole, la viole et y fait participer ses fils. Dès lors, le destin de Belle d’amour est scellé : elle passe d’hommes – qu’elle aime – en hommes – qui la dégoûtent : le juif Moshé, Enguerrand le bourreau, Armen le Magnifique, frère Eustache… Cette première partie, une soixantaine de pages, pleine de rebondissements, dessinent un personnage ballotté par le destin, qui sait s’adapter aux situations et souffrir en silence en attendant des heures moins sombres. Ce n’est pas là le meilleur du livre, mais on suit avec intérêt, plaisir et peur les assauts des Jean-Bon, son amour naissant avec Moshé et sa profession de bourrelle à Montfaucon, sous le patronage d’Enguerrand.

C’est alors que commence véritablement ce qui relève à la fois de la chronique et de l’épopée : le départ pour la septième croisade. Recruté par des Croisés, Enguerrand emmène avec lui sa Belle d’amour sur les chemins de Jérusalem. Tiphanie sait d’ailleurs se rendre très utile : elle cuisine, soigne et chante. Elle devient le trouvère de Joinville et se rapproche peu à peu du grand Louis IX, dont le roman constitue un peu le Brut. Franz-Olivier Giesbert pourrait ennuyer mais, même quand il dresse l’historique des croisades, il passionne et nous emporte avec lui de scène en scène, d’aventure en aventure. Le rythme est soutenu, la phrase est belle, l’époque est dépeinte avec vivacité et vérité. La chronique vire au roman policier quand, une fois Damiette prise par les Croisés, de mystérieux meurtres sont commis dans le campement du roi ? Qui accuser de ces crimes ? L’enquête, laissée un temps sans suite, trouve un rebondissement inattendu à la fin du roman.

Tiphaine suit en captivité le futur Saint Louis, dont le livre dresse un portrait inédit, intime et d’une grande beauté. À son service pendant vingt ans, elle assiste à sa mort, à Tunis, riche de ses enseignements et de la digne constance dont il a fait preuve durant tout son règne. À la faveur d’une dernière aventure, elle retrouve l’Orient, paradis des Assassins.

Le roman ne fait pas l’impasse sur les sujets qui fâchent. En choisissant de traiter le sujet des Croisades contre l’Islam de la conquête et des invasions, menace pour l’Occident médiéval, Franz-Olivier Giesbert ne dissimule pas les résonances avec l’actualité. Parallèlement à l’histoire de Belle d’amour, on retrouve le narrateur, dans la Marseille de 2016, amoureux de Leila, une musulmane qui a fricoté avec un islamiste, ami, presque père, de Samir la Souris, un jeune homme qu’il soupçonne de duplicité, et lui-même, sans religion, mais taraudé par les questions de foi. Dans un dialogue avec Tiphanie, Olivier a bien du mal à répliquer aux anathèmes de sa muse contre l’Islam menaçant : « Quand ils se sentent chez eux, lui dit-elle, les musulmans finissent toujours par éradiquer les autres religions. […] L’islam est une mer qui monte […] et si vous continuez à laisser faire, il vous submergera. […] Aujourd’hui, du haut de leurs minarets, ils observent le reste du monde salivant, ils ne songent qu’à instituer un califat universel. » En optimiste, il croit au vieillissement de la religion de Mahomet, à la désertion des mosquées et à la crise de vocation des imams, à l’image du christianisme et de la plupart des religions. Derrière l’épopée, le tumulte des combats et les coups de sabre, au-delà de l’aventure captivante et entraînante, loin du bercement des duduks, Belle d’amour inquiète et donne matière à réfléchir.

La seule faute de goût, presque une erreur de style, est le plaquage artificiel et sans intérêt de mots du Moyen-âge, tout droit sortis d’un dictionnaire d’ancien français, qui freinent la lecture, cassent le style limpide de l’écrivain et sont comme des verrues sur un beau visage. Au milieu du charme de l’Orient, on entend trop souvent résonner la voix criarde et incongrue de Jacquouille la Fripouille… Ceux qu’un peu de pittoresque, aussi maladroit soit-il, ne gêne pas trouveront beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman historique sensuel, alerte et beau.

Stéphane Maltère

Franz-Olivier Giesbert, Belle d’amour, Gallimard, mars 2017, 384 pages, 21 euros.

> Lire un extrait du roman de Franz-Olivier Giesbert

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.