Golem : la vérité ou la mort

Dans la tradition juive, le « golem » est un être artificiel qui naît de l’argile. Seul un rabbin peut l’animer. Mais la première mention de ce terme, on la trouve dans la Bible, au psaume 139, où Adam se désigne à Dieu comme une « masse informe ». « Golem », en hébreu, a de multiples sens. Le mot peut désigner un « embryon », un « sot », une « chrysalide », un « naïf », un « robot »… Et Adam signifie « l’homme », celui qui sort de « la terre », « hadama ». Quand on parle de « golem », il est donc question de création.

À l’origine, cette légende vient de Prague. Un antisémite fanatique, Taddaüs, tente de semer la discorde. Il veut ranimer les soupçons qui pèsent sur le peuple juif qu’on accuse d’enlever des enfants chrétiens et de les assassiner lors de rituels où l’on fabrique les « matzot » (pains azymes). Ces rumeurs ont souvent déchaîné la haine contre les Juifs, et Taddaüs les ravive si bien que Rabbi Loew reçoit de là-haut, sous la forme de mots classés par ordre alphabétique, une arme pour se défendre :

« Tu crées un Golem avec de l’argile et tu détruis les méchants qui dévorent Israël. »

Une cérémonie a lieu, durant laquelle Rabbi Loew façonne un être qu’il va faire vivre en demandant à son assistant Jizchak « de faire sept fois le tour du corps d’argile, en partant de la droite, et lui (confiant) la zirufim, la combinaison de lettres qu’il devrait réciter en exécutant son office » : c’est ainsi que le Golem devient vivant.

L’exposition « Golem, avatars d’une légende d’argile » » se déroule au Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris. C’est une mine d’informations ! La figure du golem y est explorée des origines à notre époque sous ses différentes formes : cinématographique, religieuse, artistique, scientifique, littéraire... Le visiteur a d’abord, en entrant, la vision d’un grand tableau de Miloslav Dvorak, représentant Rabbi Loew et sa créature ceinturée de fer sur les hauteurs de Prague, tableau qu’on peut apercevoir dans le film Le Boulanger de l’empereur et l’empereur du boulanger de Martin Fric (1951). Dès les premiers pas dans l’exposition, c’est la voix de Jorge Luis Borges qu’on entend :

« Assoiffé de savoir ce que Dieu sait,

Ce Löw se voua aux substitutions

De lettres, aux difficiles permutations,

Si bien qu’un jour il prononça le Nom qui est

La Clef, la Porte et l’Hôte, la Demeure et la Grâce. »

Dans ces vers, le poète fait référence au mystère qui entoure la création du golem, à la maîtrise nécessaire du livre de la Création. Animer un golem est réservé à des élus, des religieux très savants qui versent dans la Kabbale. La deuxième pièce est justement consacrée à ces énigmes quasi-scientifiques, tout en montrant des extraits de films qui ont mis en scène la créature.

Beaucoup d’artistes, comme Nikki de Saint-Phalle, Joachim Seinfeld, Ignati Nivinski, revisitent le mythe à travers peintures et sculptures. Mais deux tableaux sont des pièces-maîtresses de cette exposition : les Golem de Gérard Garouste et de Jules Kirschenbaum.

Le premier est de très grande taille. Il a été peint en 2011 par Garouste, dont on connaît la passion pour l’hébreu et la culture juive, et il fait écho à un texte du Journal de Kafka sur la création du golem : on y voit une masse rouge informe autour de laquelle des visages grimaçants s’agitent, tirant la langue et tentant de lécher la matière, sous les yeux d’une sorte de démiurge bossu et ridicule qui n’est autre que le peintre lui-même ; le second, peint par Kirschenbaum en 1999, est rempli de détails très intéressants et finement représentés : cette fois-ci, le chef d’orchestre est un chimpanzé. Il montre, de sa baguette, des chiffres et se prend pour Dieu. Sur la table se trouvent des morceaux de squelette, un talit (châle de prière), des flacons de peinture, un livre religieux… Au mur, des lettres hébraïques dans tous les sens, représentant le nom de Dieu, Yahvé : des organes ou extraits de planches anatomiques flottent sous l’aleph… Le tableau laisse une impression de désordre : à terre gît une créature presque humaine, un phylactère sur le front.

Les deux peintres dérangent par leur façon de s’emparer du mythe. Chez Garouste, les hommes autour du Golem sont avides et obscènes ; chez l’Américain Kirschenbaum, on voit la déraison, l’excès, la volonté folle de se prendre pour Dieu.

Car la créature, souvent, échappe à son maître. Si le Golem est vu dans de nombreuses légendes comme le sauveur des Juifs, leur protecteur, il prend aussi un visage beaucoup plus malveillant, en particulier dans les films. Il peut devenir un golem-monstre, effrayant, dont la force le dépasse et qui détruit, surtout s’il tombe entre de mauvaises mains. L’exposition montre bien aussi comment les comics ont pu s’emparer de ce mythe pour créer des personnages inspirés du Golem, tel que Hulk qui, en dépit de ses bonnes intentions, peut être très dangereux puisqu’il ne maîtrise pas sa force.

À notre époque moderne, le Golem a un autre visage encore : on le retrouve chez les robots, constructions de l’homme, à leur service et capables eux aussi d’outrepasser les limites qu’on aurait voulu leur donner.

D’un point de vue littéraire, l’œuvre qui fait souvent référence est Le Golem de Gustav Meyrink (1915). Mais, comme le rappelle Elizabeth R. Baer dans son article « Les origines du Golem », il laisse finalement une part peu importante à la créature :

« La figure d’argile n’y joue qu’un rôle tout à fait secondaire, au point que l’on peut se demander combien de spécialistes parmi ceux qui citent le livre l’ont effectivement lu. »

Il existe aussi une pièce de théâtre de l’écrivain yiddish H. Leivick, Le Golem (1921) : l’auteur y critique la révolution russe et sa violence. Le Golem supplie son créateur de ne pas lui donner vie :

Le Fantôme : Je suis venu te mettre en garde :

Ne me crée pas, ne me tire pas de mon repos.

Le Rabbi : Disparais, je l’ordonne !

Le Fantôme : Je te le dis encore et je t’avertis, ne me crée pas ! Vois ces étoiles s’éteindre ! Ainsi s’éteindra la lumière de tout œil qui me regardera. L’empreinte de mon pas ne laissera que désolation, et ce que ma main touchera deviendra cendre et poussière. Je te le dis, n’échange pas ma tranquillité contre le tumulte des rues et des hommes.

Les auteurs contemporains (L. Gaudé, Éliette Abécassis, Joann Sfar, Elie Wiesel…) revisitent aussi ce mythe. On n’oubliera pas non plus Le Golem d’Isaac Bashevis Singer, publié en 1969 dans le Jewish Daily Forward.

Que le Golem veuille faire le bien ou le mal, il ne sera pas aisé de le « désactiver » une fois la machine en marche, même si, sur son front, ont été gravées trois lettres hébraïques qui forment le mot « emet », « la vérité ». Il devrait pourtant suffire à son créateur d’effacer l’aleph initial et de laisser place aux deux seules lettres restantes : se dessine alors le mot « met », qui signifie « la mort »…

L’exposition est visible jusqu’au 16 juillet 2017 au MAHJ. On peut écouter en podcast sur France culture l’émission « Ping Pong » du 12 mai 2017, où la parole est donnée à Gérard Garouste et à la commissaire de l’exposition, Ada Ackerman. On peut se procurer aussi le très beau catalogue d’exposition, disponible aux éditions Hazan.

Céline Maltère

 

Liens et références :

> Golem, avatars d’une légende d’argile (catalogue d’exposition), éditions Hazan, 2017.

> « Le Golem », dans L’Auteur et autres textes, Jorge Luis Borges, Gallimard, 1964.

> Le Golem, Gustav Meyrink (1915)

> Le Golem, Isaac Bashevis Singer, rééd. Stock, 1982.

> Le Golem, H. Leyvik, rééd. L’Arche, 2001.

> Le Golem de Prague, Vitalis, 2013.

> Podcast Ping Pong

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