Manuela Bruckert, la magie des énergies

Quand une pulsion de vie prend volume contre l’insoutenable, cela donnerait-il Manuscrit d’un esprit d’une mère en lutte et en état d’urgence perpétuel ?
De bonne heure, Manuela Bruckert est entrée en collision avec cette évidence : la réalité est infiniment plus complexe, plus subtile voire plus tragique que nous ne voulons l’admettre… Et cela soulève des questions autrement dignes d’intérêt que le pharaonique "transfert", d’une "star" du foot business, les "performances" de ces "équipes" de "sportifs" sur le gazon synthétique ou le volume des ventes du dernier gadget de destruction massive lancé sur le marché dont la loi est supposée mener le monde…
Mais quand le marché est aveugle et sourd aux véritables besoins humains, il faut bien des livres pour rappeler à d’autres réalités que les spasmes erratiques d’indices boursiers sous perfusion, les éructations de marchands d’illusions ou les funérailles nationales d’une vedette du divertissement…

Cette vacillante lumière au bout du chemin…
L’enfance de Manuela déroule son cours tranquille dans un village assoupi au pied des ruines médiévales de L’œil de la sorcière – mais il en faut plus, sans doute, pour planter le décor d’une histoire et en donner l’ambiance : "Sur le chemin de l’école, nous nous racontions des histoires d’esprits et de sorcières…"
Ses parents, Auguste et Cécile, tenaient un restaurant à Leimbach (Haut-Rhin), L’Auberge de la Fontaine. Bien sûr, Manuela met la main à la pâte pour faire tourner la petite entreprise familiale : "Avant, mon père était cordonnier et n’avait jamais eu le temps de lire… Moi non plus mais j’ai trouvé celui d’écrire très tôt, dès l’âge de sept ans… Enfin, il y avait quand même les livres figurant au programme scolaire : je remercie Mme Bovary pour mon bac !"

De cette enfance hyperactive, elle garde des souvenirs de plénitude et de promenades autour du lac de Michelbach : "Un jour, il y eut une grande agitation au village : des Américains étaient venus à l’auberge, c’était du jamais vu ! J’ai eu un pourboire royal, un billet de dix dollars, ce qui était une somme à l’époque en 1982, alors que le dollar était à dix francs. Je l’ai gardé précieusement… "

Elle fait même une expérience de Near Death Experience – une NDE, dans la langue des initiés, c’est-à-dire une « expérience proche de la mort » qui transforme ceux qui en reviennent … Comme tous ceux qui ont livré leur témoignage sur ce phénomène de coma dépassé, elle a vu cette lumière blanche, si éclatante, au bout du tunnel et ce grand jardin où il ferait si bon vivre… pour toujours : « J’ai ressenti un sentiment d’immense sérénité, je me suis retrouvée immergée comme dans un océan d’amour, et c’est alors que quelqu’un me dit : "C’est trop tôt !"
Et il lui a fallu réintégrer son corps comme on enfilerait une combinaison poisseuse… Mais cette expérience d’amour inconditionnel ressenti aux portes de la mort clinique n’est pas racontable – serait-ce sous la dictée d’un esprit... D’ailleurs, qu’est-ce que la mort ? L’arrêt des fonctions vitales ? Et qu’est-ce que l’amour, la bonheur, la joie – ou… l’homme ?

À dix-sept ans, Manuela fait une mémorable séance de spiritisme, qu’elle juge "concluante" : "Notre matériel était rudimentaire : des chiffres, des lettres et un verre que nous faisions tourner… Mais ça fonctionnait plutôt bien : les lettres s’agitaient et formaient des mots… Il faut dire qu’il y avait dans notre groupe un jeune homme qui manifestait une énergie psychique particulière, dont celle de faire venir les esprits… Depuis, j’ai toujours fait des rencontres sur cette longueur d’ondes : les énergies s’attirent, des expériences de vie appellent des rencontres d’un certain type…"
Plus tard, elle est même choisie par des livres qui lui parlent, enfin – comme Veronica décide de mourir de Paulo Coehlo… Après un BTS "Force de Vente" et diverses expériences dans le secteur commercial de la bureautique puis des cosmétiques, elle enseigne au Centre de Formation des Apprentis à Mulhouse.

En novembre 1999, la jeune enseignante donne naissance à un fils –Noam est diagnostiqué "autiste", une entrée dans la vie comme en haute lutte - et en état d’urgence permanent pour sa mère… Leur expérience lui inspire en 2011 le scénario d’un film, Et toi t’aurais fait quoi ?, réalisé par Sébastien Sonet et diffusé dans les cinémas indépendants : "Mon fils m’a fait grandir. Après le scénario du film qui relate le combat éprouvant (médical et humain mais aussi administratif…) des parents qui ont un enfant handicapé, je me suis remis à l’ordinateur et c’est ainsi qu’en un mois est venu Manuscrit d’un esprit… Je l’ai écrit comme un roman d’espoir sur l’éternelle question de l’après-vie… Avec ce présupposé qu’il y aurait une possible non-fin…"
Bien évidemment, c’est une histoire d’esprits – à commencer par celle d’un journaliste quadragénaire, adepte de sciences occultes, qui finit par "prêter" son corps à une entité venue d’un autre plan de "la réalité"…

La photo de couverture de son livre a été prise avec un instinct de vue assuré lors d’une promenade autour du lac de Michelbach : elle représente quelque chose comme cette lumière blanche vacillant au bout du chemin, saisie entre la feuillée des arbres et le bleu d’un ciel qui commence à se voiler de perplexité. Haut les cœurs, toujours aussi haut et aussi loin que nous le pourrons – comme des vagues qui tireraient leur mouvement et leur vie d’un océan d’amour ?
Une première version condensée de cet article est parue dans les Affiches d'Alsace-Lorraine
 

Michel Loetscher
 

Manuela Bruckert, Manuscrit d’un esprit, Dom éditions, 156 p., 9 €

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