Clientèle, de Cécile Reyboz : Ressources inhumaines

Avocate en droit du travail : la narratrice n’a rien d’une star du barreau ni d’une de ces créatures sexy que l’on voie à la télévision, dans les séries croiser le fer avec les juges. Elle, elle se contente de défendre des salariés, qui à un moment donné sont poussés dehors par leur employeur et de faire reconnaître leurs droits aux prud’hommes pour des sommes souvent peu importantes. Mais avant de devenir des clients, il faut que ces hommes et à ces femmes racontent leur quotidien avec leurs pauvres mots, avec le jargon impitoyable de l’époque aussi.

Ils sont livreurs, cadres, ouvriers, assistant de direction, commerciaux, responsables magasin, directeurs de la communication, manutentionnaires jeunes, proches de la retraite, combatifs ou abattus, polis ou mal élevés. Tous défilent et, comme en confession, expliquent exactement quand, dans leur vie, le travail a commencé à coincer. Un ordre pas compris, une mission jugée débile, un conflit avec un collègue, une promotion refusée : la narratrice pose des questions, demande un papier, une preuve, explique sans relâche, s’enthousiasme ou se lamente. Il y a des femmes harcelées, des handicapés mis au placard, toute l’horreur des rapports humains mais aussi la solidarité d’équipe de PME, la satisfaction d’un contrat enfin signé…

C’est à une plongée hors du commun dans le monde du travail contemporain, son jargon, ses rites, ses hypocrisies et sa brutalité intrinsèque que nous convie Cécile Reyboz, avocate dans la vraie vie, qui n’a pas son pareil pour faire ressortir l’humanité derrière chaque dossier. Avec elle, on rencontre des clientes incapables de passer chercher un chèque faramineux, tant cet argent-là sonne la fin de leur vie professionnelle, des jeunes hommes agressifs, des dépressifs persuadés qu’ils perdront comme ils ont toujours perdu à la roulette de la vie, des petits malins qui espèrent « faire cracher » les tribunaux.

Une plongée addictive qui fascine et dérange à la fois mais qu’on aurait tort de classer dans la catégorie longue enquête de journalisme société sur les ravages du libéralisme dans notre monde. L’auteur , lauréate du prix de la Closerie des lilas pour Chanson pour bestioles, fait également preuve de son talent de romancière dans les moments où son personnage s’évade, marche dans Paris et cherche la nuit à vivre une autre vie, loin, très loin, de la misère humaine qu’elle côtoie et de son fils dont la prédisposition pour la violence l’inquiète à juste raison .

Récit d’un métier mal connu, portrait d’une société où la valeur travail ne va plus de soi, ton fulgurant d’une femme encore jeune confrontée à la perte de ses idéaux, Clientèle est un roman qui ne ressemble à aucun autre. Il serait dommage, en cet hiver, de passer à côté.

Ariane Bois

Cécile Reyboz, Clientèle, Actes Sud, janvier 2018, 195 pages, 19 €

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