Anne Teyssèdre, Laurence Kleinberger : premières armes

Deux récits fort différents à tous égards. Par les thèmes et par le ton. Par les sources d’inspiration aussi. Le premier emprunte à la triste réalité quand l’autre s’ébroue dans la fantaisie la plus débridée.

Dans Chers Absents (1), Anne Teyssèdre démontre qu’elle sait passer avec aisance de l’écran à la plume. Elle fut Jeanne dans Conte de printemps, le film d’Eric Rohmer. Belle, émouvante. Naturelle. Elle prétend (dans une interview accordée à Gérard Courant) n’en pas être l’héroïne principale. Pourtant, on ne se souvient que d’elle. De son regard profond, énigmatique aussi. Une actrice qui marque. La voici écrivain – non, je ne me plierai jamais à « écrivaine ». Ce petit livre, après moult nouvelles, articles et essais, témoigne de sa métamorphose réussie. Un roman ? Peu probable. Plutôt des souvenirs. Transposés sans doute, mais à peine. Deux récits détaillés. Quasiment minute par minute. Ceux de la mort d’êtres chers, des réactions de leurs proches. Dans le premier, un vieux couple uni et fidèle, Jean et Madeleine. Elle succombe à la maladie, il l’assiste jusqu’au bout, lui survit avec difficulté. Le second récit, écrit à la première personne, narre l’accident fatal dont fut victime le père d’Anne, la narratrice, alors qu’elle était encore une enfant. Un bouleversement, au sens fort du terme. « L’attendre, l’appeler, pleurer, prier, supplier, ou explorer des hypothèses, tout cela était vain, rien ne me rendrait mon père, il fallait lâcher prise. » Entreprise difficile entre toutes.

Anne Teyssèdre raconte, avec une précision quasi clinique, une plongée dans le passé qui lui est une manière d’exorcisme. Souvenirs vécus ou reconstruits à partir de photos, de témoignages. Analyse lucide des diverses phases du deuil. Une sorte de « chemin à l’envers » à la redécouverte de l’être aimé. Tout cela, sans pathos. Sans le moindre apitoiement, mais avec une lucidité implacable. C’est elle qui confère au récit sa force et son originalité.

Avec J’ai pas tué Gérard, enfin je crois… (2), Laurence Kleinberger signe un premier roman plutôt gothique. Le titre laisse déjà augurer de la suite, pour ce qui est du style. Résolument oral. Familier, voire, de ci de là, scatologique. Volontairement relâché. Provocateur en diable. Tendance, en un mot. Avec ce que cela suppose de pittoresque et, parfois, de facilité. On balance entre le polar et le cochon. On se dit d’abord qu’à vouloir trop casser les codes, l’auteur risque de nous casser autre chose. Et puis les réticences initiales sont vite balayées. On se laisse prendre. Par la vivacité, le rythme. Par les personnages. Prenante, en effet, et sans restriction, Franckie Apfelstrudel, la narratrice de cette histoire échevelée. Elle en est l’héroïne. Une jeune femme à la fois exaltée et dépressive. Bourrée en permanence de tranquillisants. De sédatifs. D’antidépresseurs. D’anxiolytiques. Cliente assidue des sites de rencontres et d’un psy bien particulier, le Dr Kahn (il jouera dans l’intrigue un rôle non négligeable). Bien de son époque – et mal dans sa peau. Férue de chansonnettes qu’elle écoute en boucle, casque rivé aux oreilles.

A-t-elle tué Gérard, son ancien amant ? De son cadavre défiguré, émerge un petit détail anatomique, « triste et tout fripé », qui l’en persuade. Pour faire bonne mesure, git à son côté Marie-Edwige, sa remplaçante dans la vie de Gérard. Mais sont-ce bien là les deux victimes ? Et si elle n’est pas la meurtrière, qui donc les a trucidées ? Et pourquoi ? Tel est le point de départ d’une aventure rocambolesque et hilarante. Menée tambour battant. Peuplée de personnages hauts en couleur. Les meurtres s’y accumulent, les assassins potentiels aussi. Et les liasses de gros billets. De quoi radicalement changer l’existence de Franckie. Un suspense nourri de rebondissements incessants. Une manière de road movie auquel participent d’improbables protagonistes. Parmi eux, une quinzaine de bikers bataves. En expédition punitive, ils pétaradent sur leurs Harley. Sans compter quelques carpes aux écailles moirées, objets d’un juteux trafic. Un vrai trésor. Il ne faudra rien moins que l’intervention des services secrets pour résoudre l’énigme. Laquelle, partie d’un fait divers crapuleux, acquiert une dimension internationale. Tant il est vrai que les petits ruisseaux

Jacques Aboucaya

1. Anne Teyssèdre, Chers absents, Persée, 2017, 104 p., 12,20 €.

2. Laurence Kleinberger, J’ai pas tué Gérard, enfin je crois…, Ed. du Basson, septembre 2017, 230 p., 18 €.

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