L’Effroi Mousquetaire, de Jules Magret : Quand l’Histoire jaspine le jars…

François Cérésa adore jouer avec les mots. Il s’en saisit, les soupèse, choisit les plus dodus, les plus évocateurs. Les plus colorés. Il jongle avec eux, en compose des guirlandes, des feux d’artifice. Les plie à tous ses caprices. C’est le roi du calembour – mais, faut-il le préciser, du calembour bon, non de ces jeux de mots laids qui font  les gens bêtes. Ainsi procédait Rabelais, le curé de Meudon (non, pitié, rien à voir avec le citoyen de la Route des Gardes. Encore que…). S’il fallait désigner des précurseurs un tantinet plus récents au fondateur-directeur du mensuel ServiceLittéraire, c’est du côté de Michel Audiard et d’Alphonse Boudard qu’il faudrait les chercher. Voire de San Antonio. Car, à l’instar de ces maîtres du genre, il manie en virtuose la langue verte. Celle qui, en dépit de son nom, n’a guère permis, jusqu’ici, à ceux qui en usent, de briguer l’habit de même couleur. Criante injustice dont il n’y a pas lieu de débattre ici.

En attendant un hypothétique fauteuil à l’Académie, Cérésa pratique, outre ses acrobaties langagières, un autre sport, assez prisé dans la corporation des romanciers : celui du dédoublement. L’avatar le plus accompli en est, à l’évidence, le tandem Romain Gary-Emile Ajar. Supercherie littéraire, au demeurant, plus que dédoublement stricto sensu. Mais sait-on que Gary, alias Roman Kacew, signa aussi de divers autres pseudos, Shatan Bogat, Fosco Sinibaldi ? Que Rabelais, cité plus haut, c’était aussi, par la grâce de l’anagramme, Alcofribas Nasier ? Qu’importe.  Ici, on pencherait plutôt vers des tandems du genre de celui que constituèrent Jacques Laurent, immortel auteur des Corps tranquilles, et Cécil Saint-Laurent, dont le nom reste attaché à celui de Caroline Chérie. Nous y reviendrons. 

Quoi qu’il en soit, le chantre remarqué de Moume et de Poupe, le romancier des Enfants de la Révolution, non content d’avoir repris au vol la plume de Victor Hugo pour continuer à sa façon Les Misérables, s’est choisi un alter ego. Il se nomme Jules Magret. Encore un clin d’œil : à une lettre près, l’identité du commissaire rendu célèbre par Simenon. Ce Magret n’en est pas à son coup d’essai. On lui doit un savoureux Touchez pas au frichti (L’Archipel, 2017). Tendre comme de la rosée. Rôti à point. 

Ce fin gastronome signe, avec L’Effroi Mousquetaire, un roman gouleyant comme un bourgogne de grande cuvée. L’argot y occupe une place de choix. Au point que chaque chapitre regorge de trouvailles. De descriptions hautes en couleur. De répliques qui claquent comme des coups de fouet, dignes des meilleurs dialogues d’Audiard (« Le gros Rouillé se replaça les boules de Noël autour du sapin avec une précision empreinte de bonhommie : – je ne permets pas, j’ordonne ! »). Voilà qui est sans réplique – si l’on ose dire. On imagine Ventura ou Gabin. Fait remarquable, le texte demeure accessible aux non-initiés. Point n’est besoin, pour le comprendre, d’être agrégé es jargons, spécialiste du verlan, fin connaisseur en jobelin. Mieux encore, tout un chacun peut en apprécier les subtilités. Cela, pour ce qui est de la forme. Quant au fond – et c’est là que mon propos est rattrapé par Cécil Saint-Laurent – nous sommes entraînés dans les méandres de l’Histoire, précisément en 1673. Quasiment un siècle avant que celle qui deviendra Caroline chérie n’entame, dans les bras de Gaston de Salanches, son éducation sentimentale.

Ici, amours romanesques et intrigues plus ou moins policières déroulent leurs méandres sur fond d’Histoire de France. La recette est éprouvée. Cérésa en a déjà usé précédemment, et avec bonheur. Mais tous les ingrédients se trouvent déjà, avant que Cécil Saint-Laurent n’y puise, chez Alexandre Dumas. Les personnages, Janine de Bavelle, qui fut la maîtresse d’Artagnan, Lucien de Médebigne, son neveu, « grande saucisse sur les bords avec ses oreilles à la Dumbo » qui va découvrir un complot visant à renverser le jeune Louis XIV, d’autres encore, tels la goûteuse Marianne Van Houten, le chevalier de Latréaumont (sic)  ou le marquis de Verragnac, sont les descendants, fût-ce en ligne indirecte, de ceux que Dumas et Saint-Laurent ont campés dans les sagas qui les ont rendus célèbres. On songe aussi, parfois, au D’Artagnan amoureux de Roger Nimier. Car l’auteur entretient, avec ceux que Bernard Frank surnomma « les Hussards », une indéniable parenté.

S’il est, bien sûr, hors de question de déflorer l’intrigue (c’est le sort réservé dans ce roman aux jeunes filles innocentes), il faut savoir que les complots, les rebondissements en tout genre y sont légion. Qu’elle tient en haleine de bout en bout. Que le lecteur y passe par tous les stades de l’émotion. Que le suspense, pour user d’un affreux anglicisme désormais passé dans notre langue, y est omniprésent. De même que toutes les nuances du comique, celui, allusif, qui suscite un fin sourire comme la farce qui déclenche la quinte de rire gros et gras. Il y en a pour tous les goûts. C’est-il pas nickel chrome ?

Jacques Aboucaya

Jules Magret, L’Effroi mousquetaire, Les Belles Lettres, septembre 2018, 258 p., 19 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.