Que tout soit à la joie : un page turner hypersensible

A dix huit ans, Juliette, une jeune provinciale arrive à Paris où elle ne connaît personne mis à part ses grands parents et son grand oncle, Paul Dantec, un cardinal très en vue. Ecrivain, académicien, il est aussi aimé que contesté. Il la conseille dans ses études. Elle l'admire, elle est fascinée par son énergie, son intelligence. Il est un guide dans ce monde guindé où elle ne trouve pas sa place. Sa vie sentimentale est un échec : le garçon dont elle est amoureuse lui  préfère une autre jeune fille. Elle se réfugie dans les livres, écrit son journal. Son émancipation dans ce monde d'après 68 n'est pas simple : d'un côté, la liberté, il est interdit d'interdire, de l'autre, les rallyes des beaux quartiers ; deux univers qui  s'opposent et où elle ne se retrouve pas. 

Un jour, le cardinal est trouvé mort chez une prostituée. Le scandale est national. L'homme d'église, annoncé comme futur pape n'était  qu’un homme comme un autre. L'opinion, la presse alimentent les fantasmes les plus tordus : que faisait un cardinal chez une prostituée, sinon le pire ?
Pour la jeune fille, c'est le chaos. Il lui faudra beaucoup de temps pour oser écrire sur le sujet après bien des tâtonnements dans le monde du théâtre,  des relations humaines et du roman. Il lui faudra attendre l'âge mûr, pour  trouver enfin le courage d'enquêter et de réhabiliter son parent.

Dans ce roman dense et riche, Emmanuelle de Boysson décrit un parcours mouvementé, dans lequel les épreuves ne manquent pas : la mort de  l'oncle, celles des grands-parents, d'une tante, la naissance d'un enfant mort né, la maladie de la mère…
De la même façon les rapports avec le monde de l'édition ou du théâtre sont analysés avec acuité. L'éditeur chez qui elle propose son livre sur Paul Dantec lui propose de retravailler son texte en « accentuant la dimension érotique ». C’est non. Du côté familial, ce n'est pas plus simple : on lui fait comprendre qu'il est hors de question qu'elle prépare « une saga commerciale dégradante pour notre image ». La culpabilité est à son comble quand sa mère, malade lui affirme qu'en écrivant, elle lui gâche ses derniers mois.

Même dans les moments les plus durs, l'auteur n'insiste pas. La mort d'un proche est   dite en quelques phrases. Rien n'est lourdement expliqué : le lecteur est assez grand pour ressentir l'émotion ressentie par les personnages qui ont leurs failles. Le  destin de la jeune fille puis de la femme qui se cherche trouve un écho dans le parcours du prélat trop humain qui écrivait sur Marie Madeleine, la pècheresse

Efficace et sensible,  entre imagination et vérité, ce livre sans pathos a la politesse du désespoir et permet à son auteur qui se confond parfois avec son héroïne d'oser s'exprimer et de signer son émancipation définitive.

Brigit Bontour


Emmanuelle de Boysson, Que tout soit à la joie, éditions Héloïse d'Ormesson, juin 2019, 220p. - 18 euros

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