Trois durs à cuire, de Bernard Leconte : Quand la satire perce sous le réalisme

Bernard Leconte est un de ces romanciers qui ont plus d’un tour dans leur sac. À première vue, « doux, bénin et gracieux », à l’instar du chat de La Fontaine. En réalité, grand dénonciateur de faux-semblants. Pourfendeur d’idées reçues. Sous des intrigues anodines en apparence parce qu’elles empruntent à la vie courante, qu’elles mettent en scène des héros que l’on pourrait croiser au coin de la rue, le lecteur est convié à des mises en cause parfois féroces de ce qu’il pouvait jusque-là prendre pour des vérités intangibles.

En d’autres termes, méfions-nous de Bernard Leconte. Son ton volontiers patelin, son style au classicisme de bon aloi ne sauraient longtemps dissimuler le non-conformisme de sa pensée. Il pousse, mine de rien, des pseudopodes dans toutes les directions. Allume des mèches. Choisit ses cibles pour mieux les cribler de flèches assassines.

Les trois nouvelles qui composent Trois durs à cuire offrent un bon exemple de cette littérature à tiroirs – ce qui ne signifie nullement qu’il s’agit là de fonds de tiroir, loin de là ! Leurs héros ont ceci en commun qu’ils restent fidèles à la ligne de conduite qu’ils se sont fixée, en dépit de l’époque où ils vivent et du milieu où ils évoluent. Montcel, le député-maire, Lucien, accusé à tort de collaboration, Marie, élevée par une mère qui lui préfère son frère Xavier et en fait ainsi une rebelle persuadée que « l’honneur est dans le cynisme », autant de personnages au destin finalement tragique. Attachants dans la mesure où le milieu où ils évoluent, semé d’embûches, caractérisé souvent par le conformisme et l’hypocrisie, sert de révélateur à leur personnalité profonde. 

Ainsi des sphères de la politique, de celles de la presse et de leurs turpitudes. De l’époque troublée (et ô combien trouble) de l’occupation allemande et de la Libération, dans les années 1940. Des bons sentiments convenus et de l’humanitarisme bêlant qui revêt de nos jours des aspects hallucinants.

C’est là que le romancier s’en donne à cœur joie. Ses dons de satiriste (mais un satiriste qui, à l’attaque frontale, préfèrerait l’allusion, la suggestion) se déploient dans la peinture de mœurs. Il y fait preuve de dons d’observation et de l’art de doter ses personnages, héros principaux aussi bien que simples comparses, d’une épaisseur psychologique obtenue à force d’anecdotes, de petits détails révélateurs. Le narrateur les construit, pour ainsi dire, pierre à pierre, scrupuleusement.

Là réside à mon sens la réussite essentielle de Bernard Leconte. Comment ne pas songer à Balzac ? Chaque personnage est campé avec un réalisme minutieux, un luxe de détails significatifs. Les traits physiques préfigurent les traits de caractère. La mise en œuvre de la physiognomonie chère à l’auteur du Père Goriotn’est pas très loin. Ni la caricature. De quoi pimenter ces tranches de vie qui s’achèvent toutes dans le drame. Ainsi va la comédie humaine.

Jacques Aboucaya

Bernard Leconte, Trois durs à cuire, Les Impliqués, avril 2019, 188 p., 18,50 €.

> Lire la critique de Cécilia Dutter

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