Laurence Kleinberger, Anne Teyssèdre : Le cap du second roman

C’est bien connu : les écrivains, singulièrement les romanciers, sont attendus à leur second ouvrage. Laurence Kleinberger et Anne Teyssèdre ne font pas exception à la règle. En 2017, presque simultanément, elles publiaient leur premier roman (cf « Le Salon littéraire »). Voici que, deux ans après, elles proposent un nouvel échantillon de leur art. Ou une confirmation, car leur manière n’a pas vraiment changé.

Abracadabrantesque, le titre du roman de Laurence Kleinberger : Le Jour où mon Alzhei’mère échappa aux griffes d’un nazi constipé grâce à un tueur Croate à la coiffure étrange. Digne de Romain Puertolas et de son fakir coincé dans une armoire Ikéa (Le Dilettante), qui connut le succès en 2015. Et la suite est à l’unisson. L’histoire, narrée par celle qui se définit elle-même comme « une petite juive », met en scène Lilith, la cousine de Frankie Apfel strudel, l’héroïne du premier roman. Elle débute, cette histoire, par le meurtre du Docteur Philippe Mouchetrouille, spécialiste es implants capillaires. L’auteur du forfait, un Slovaque, Zlatan Novak. Il jouera un rôle capital dans un univers où gravitent, outre des Sino-Coréens-Nippons prompts à jouer de la kalachnikov, son amie Victoire Muscher, petite infirmière alsacienne. Elle a tout appris sur le tas auprès de Filou Mouchetrouille. Le monde est décidément petit. Peuplé d’assassins de toute espèce. On croise aussi un agent du Mossad, Kevin Cohen. Sans oublier un certain Adolf H., joueur de scrabble sur Internet,  et d’autres acteurs plus ou moins importants d’une intrigue mêlant avec allégresse la politique, les sentiments, les situations cocasses et les jeux verbaux. On n’aura garde, bien sûr, d’omettre une mère atteinte de démence sénile, évoquée dans le titre.

On se gardera surtout de se risquer plus avant dans le récit labyrinthique d’une intrigue fertile en rebondissements, en surprises, en effets comiques de tous ordres. Le lecteur de J’ai pas tué Gérard, enfin je crois… ne sera pas dépaysé : il est d’emblée pris dans un tourbillon. Balloté entre le burlesque et le polar où la politique pointe le bout de son nez. Tout cela, sui ne va pas sans quelques facilités, joue sur le mélange des genres. C’est San Antonio mâtiné de  Helzapoppin et de Signé Furax – sans préjuger d’autres parentés.

Au risque de brouiller parfois le message. Certes, l’allégresse du récit, le rythme effréné des courtes séquences qui le composent, Le parti pris d’une rupture délibérée d’avec les codes « académiques », voilà qui plaide sans conteste en faveur de l’auteur. On lui emboîterait volontiers le pas tant sa démarche déjantée parvient souvent à séduire. A condition que les divers effets conjugués, au lieu de se magnifier mutuellement,  ne s’annihilent pas les uns les autres. Pour prendre une métaphore triviale (mais Laurence Kleinberger ne dédaigne pas les plaisanteries trash), mélanger à un Bordeaux millésimé, un Bourgogne grand cru, un Côtes du Rhône de derrière les fagots et un vin de Loire à l’incomparable légèreté n’a jamais exalté l’un ou l’autre de ces crus. Bien au contraire…

Alors ? Comparaison n’est pas raison et la mienne est, à coup sûr, excessive. J’ai bien conscience de faire preuve, à l’égard de Laurence Kleinberger, d’une sévérité excessive. Mais c’est, précisément, parce qu’on est fondé à se montrer exigeant à l’égard d’une romancière digne d’intérêt pour peu qu’elle consente à brider un tantinet son insolente facilité. Son propos susciterait alors une adhésion sans réserve ?

Si la prolixité reste la caractéristique de l’auteur de … mon Alzhei’mère…, Anne Teyssèdre cultive, à l’inverse, art de la concision. En témoigne le titre de son second ouvrage, Je. Une consomme, une voyelle. Difficile de faire plus succinct. Plus allusif. Bien sûr, ce pronom personnel fait tout de suite penser à une autocélébration. A tout le moins, à une autobiographie ou à une de ces autofictions dont la vogue ne se dément pas. Il n’en est rien. Les onze textes qui composent ce recueil procèdent tous d’une semblable esthétique dont l’élément essentiel serait l’économie de moyens. Ici, pas d’excès, pas de délire verbal. Pas d’affabulation, mais  du vécu – ou ce qui en a toutes les apparences. La recherche de la simplicité, jusque dans l’écriture. Laquelle se calque volontiers  sur le style oral. Quitte à verser parfois  dans la trivialité, gage, sans doute, de naturel, de volonté de rompre avec la rhétorique conventionnelle – mais d’une autre façon que Laurence Kleinberger. Il s’agit plutôt, ici, d’aller à l’essentiel. D’éliminer tout ce qui pourrait s’apparenter à des affèteries et à des fioritures.

Ainsi de « La Crise de cerveau ». Une manière d’introspection, de dialogue entre la narratrice et elle-même qui lui permettra de retrouver sa sérénité après un moment de dépression. Ou encore « C’est la panique », poème en vers de mirliton qui serait hilarant si le sujet n’en était dramatique. Tous ces textes relèvent d’une inspiration commune qu’exprime de façon laconique le titre. Une inspiration qui se nourrit de réminiscences (« La Cheminée », le récit dialogué le plus dense de ce florilège), alimente la verve satirique de l’auteur (« Réflexion faite » où elle exécute en quelques phrases l’art conceptuel). Où l’afflux des souvenirs revécus avec intensité alimente la réflexion, voire l’autodérision. Où l’humour, un humour parfois désespéré, vient tempérer l’amertume d’un retour sur soi.

L’impression générale qui se dégage de cet ensemble bien moins disparate qu’il n’y paraît de prime abord, même si les vers y font bon ménage avec la prose, c’est la mélancolie. Et même la tristesse. Le ton badin y débouche le plus souvent sur l’expression d’un mal de vivre. Telle est la vive sensibilité de l’auteur. Ce par quoi elle nous touche et nous retient, comme elle avait déjà su le faire avec Chers absents.

Jacques Aboucaya

Laurence Kleinberger, Le Jour où mon Alzhei’mère échappa ux griffes d’un nazi constipé grâce à un tueur Croate à la coiffure étrange, ed. du Basson, septembre 2019, 192 p., 18 €

Anne Teyssèdre, Je, ed. Thierry Sajat, octobre 2019, 108 p., 12 €.

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