Interview. Christophe Matho : « La littérature est un remède à l’effondrement de la mémoire »

 

Christophe Matho a dirigé les collections de Marivole et de de Borée. Il relance désormais les collections littérature de Ramsay. Nous le rencontrons alors qu’il vient d’écrire son premier roman, Ozario, sorti dans le dernier office précédant le confinement.

Christophe Matho, on vous connaissait comme éditeur, mais pas comme auteur. Il est assez rare de voir un éditeur qui n’a pas été recruté parmi les écrivains se lancer en littérature. Qu’est-ce qui vous a poussé ?

Les auteurs… En fait l’auteur est un animal têtu qui a du mal à écouter les propositions de son éditeur sur le manuscrit. Et quand l’éditeur n’a jamais commis de roman, l’auteur va vite se réfugier derrière l’idée que c’est forcément un mauvais conseilleur… Lorsque j’ai compris que ma crédibilité devant les auteurs passait par là, j’ai saisi ma plume.

Justement, dans une interview au journal La Montagne, vous avez expliqué ne rien respecter des conseils que vous donnez aux auteurs, comme éviter « l’histoire du grand-père » ou « plusieurs époques », êtes-vous certain d’avoir renforcé votre crédibilité auprès de vos auteurs ?

… Finalement l’éditeur est peut-être mauvais conseilleur (rires).

Vous classez Oriazo dans quel genre littéraire ?

Je ne classe pas les romans dans un genre, ce sont les libraires et les critiques littéraires qui font ça…

Roman de terroir ? Roman historique ? Fantastique ? 

Disons que ce roman rappelle l’importance de la tradition orale dans nos campagnes, il nous délivre un message plus universel. L’importance de nos racines, le respect de la nature. Fabienne Leloup, une auteure de Ramsay m’a dit à propos de ce livre que « Le meneur de loups est une incarnation nostalgique d’une parole perdue, celle d’une communication avec le monde animal. » 

Vous vous mettez en scène dans le livre !

Oui, au début. Je me retrouve, sans l’avoir demandé, légataire d’un manuscrit d’une auteur célèbre à son époque qui pensait que la postérité l’aurait ignoré. Elle voulait faire ressurgir une œuvre longtemps après sa mort. Les meneux de loups lui ont confié leur secret qu’ils se transmettaient de bouche à oreille depuis plus d’un millénaire. Ils savaient que les loups allaient disparaître et sans loup, il n’a plus de meneux. Pourtant les meneux savaient aussi que les loups reviendraient un siècle plus tard. Ils avaient besoin de l’écrit pour passer leur secret aux générations futures. Ils ont détourné le manuscrit pour qu’il ne réapparaisse qu’un peu avant le retour des loups en Berry. 

J’ai voulu exprimer l’idée que le roman aujourd’hui a pris la place occupée autrefois par la littérature orale. La littérature est un remède à l’effondrement de la mémoire !

C’est pour cela que vous entretenez le mystère d’un manuscrit sandien ? La question qu’on a envie de vous poser : pourquoi est-il arrivé jusqu’à vous ce manuscrit ?

Ça c’est aux meneux de loups qu’il faut le demander !

Seriez-vous l’un d’eux ?

Vu qu’il n’y a plus de loups sauvages, cela me serait difficile. Les seuls loups que j’ai approchés, c’était dans un zoo !

Lorsqu’on referme le roman, on se surprend à croire que vous êtes détenteur d’un manuscrit intitulé Les meneux de loups ?

Mais je détiens ce manuscrit !

Qu’est-ce qu’un meneu’ de loup ?

Il y a une définition rationaliste, qui dit qu’il s’agit de montreurs de loups, des individus qui avaient apprivoisé un loup, voire un loup croisé avec un chien et qui le montraient de village en village, dans « les provinces du centre », c’est-à-dire au XIXe siècle le Massif central, le Nivernais et le Berry. Ces gens se servaient de la crainte suscitée par le loup dans l’inconscient collectif pour impressionner et récupérer quelques monnaies lors d’une exhibition. Puis il y a la définition issue des traditions populaires : celle d’un individu qui dispose d’un pouvoir sur les animaux et peut « charmer les loups », pour faire le bien, défendre les troupeaux, ou faire le mal… Tout dépend du meneu’…

C’est un hommage au Berry, au monde « rustique » de George Sand ?

C’est un hommage à la nature, à travers les terroirs traversés, la Toscane, la Corse, la Creuse, le Berry. J’ai essayé de montrer qu’il n’y a pas si longtemps, l’homme vivait avec la nature. Il y a cent ans, les hommes savaient que les forces de la nature pouvaient les rappeler à l’ordre n’importe quand… 

Propos recueillis par Joseph Vebret

Christophe Matho, Ozario, Ramsay, mars 2020, 195 pages, 19 €

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