Innocence ou maturité ?

Ce sera vers la troisième partie, Ecce Femina, que l’auteur se dévoile, après que Joséphine, son personnage, se sera mise à nu tout au long des chapitres qui précèdent. Ketty Rouf écrit : Le front collé à la vitre, le regard qui se fige sur voitures, arrêts de bus, piétons impatients : la ville au réveil qui se met à trottiner, maladroite comme un enfant. J’ai la pose relâchée de l’adolescence, parce qu’il est sept heures et que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

Joséphine, ici, se trahit peut-être : La pose relâchée de l’adolescence, oui, c’est elle, assurément. Sur cent-soixante pages – agréables, bien troussées – elle nous a conté son histoire, celle d’une petite prof de philo dans un lycée de Drancy, qui le soir se transforme en Rose-Lee, la strip-teaseuse.

Croyant ainsi échapper à l’enfer du lycée, la jeune enseignante se déguise, se travestit, se métamorphose offrant aux hommes la beauté de ses courbes, reconquérant chaque soir son identité de femme et offrant même, dans ses plus audacieux moments, un bout de téton à suçoter – pas plus ! Car, en temps normal, on ne touche pas, c’est le titre, qui est fort bien choisi.

Et les passages érotiques sont, heureusement, fort bien écrits. Les paragraphes pimentés : rien de plus difficile à mettre en scène, pour un écrivain.
Inquiétude, tout de même : et si les élèves, ou pire : les parents d’élèves, l’apprenaient : chaque soir la prof se fout à poil devant des mecs à Galpi, oh mon frère, tu vois le plan ? Retourner au lycée le matin après avoir offert sa nudité durant la nuit est évidemment difficile, et nous ne révélerons pas ici la solution que Joséphine, jolie môme, pourrait avoir trouvée. La philosophie, on le sait bien, mène à tout, et sert parfois dans des circonstances scabreuses.

Heureusement, il y a quelques élèves, Hadrien notamment, qui posent de légitimes questions, qui s’intéressent… Il y a en salle des profs un collègue moins sot que les autres, une photocopieuse qui parfois accepte de plus afficher « bourrage papier », etc… voire même le souvenir d’une gente dame nommée Coquelicot qui, la nuit précédente, offrait un shot de vodka ou une caresse.
En un mot, l’adolescente citée plus haut enseigne à des adolescentes qui, elles aussi, veulent s’assurer de leur féminité en arborant leurs jupes trop courtes, même en hiver, parce que c’est ça une femme libre. Comme les gamines auxquelles elle est chargée d’enseigner la philosophie, Joséphine découvre le pouvoir des femmes, la puissance incroyable de leur corps, la soumission des hommes et leur désir inextinguible. Mais Joséphine a trente ans, et non seize. Son immaturité, qui d’abord nous agace, nous attendrit : nous aussi, nous sommes parfois de petites créatures qui cherchons à séduire, à tester les limites de notre pouvoir… Et heureusement, parfois, Joséphine devient une grande dame : elle aide un élève à chasser un dealer, elle va voir à l’hôpital sa collègue de la night, Fleur, bien mal en point, ou encore elle dit aux élèves que la machine à broyer, à soi-disant enseigner, les tire vers le bas […] parce qu’on a besoin de leur ignorance.
Voilà qui n’est pas faux.

Avec le strip-tease, en plus d’un beau finale, cette volonté de mettre à nu le système est loin d’être désagréable.

Bertrand du Chambon

 

Ketty Rouf, On ne touche pas, Albin Michel, août 2020, 237 p.-, 18,90 €

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