L'art de l'autoportrait par Edouard Levé


L'art de l'autoportrait n'est pas donné à tous, et quand il est couplé à celui de la dérision, il est d'autant plus rare. Edouard Levé est un de ces personnages, qui s'exprime aussi bien par la photographie [1] que par la plume et donne à chaque fois un inattendu.


Réduisant l'argument à sa plus simple expression (MOI), ce qui est finalement répondre dans sa plus franche sincérité aux exigences mêmes de l'exercice, Autoportrait avance en pas de deux : j'aime / je n'aime pas, je suis / je ne suis pas, de façon à délimiter suffisamment le réel pour qu'apparaissent, dans le combat de ce clair-obscur en mouvement perpétuel, la sincérité du vivant. Sincérité qui se dévoile autant par soi-même en tant qu'individu que par rapport aux autres qui forment l'environnement culturel et social où se développe cet individu.


Beaucoup d'interrogations aussi, par lesquelles peut-être le portraitiste s'approche-t-il le plus près de sa réalité. Car faire son autoportrait c'est avant tout se poser les questions de sa représentation, de sa propre vision dans le réel et de se définir comme l'on dessine autre : qu'est-ce qu'un homme ? qui suis-je en tant qu'homme ? Ainsi, un portrait sincère ne peut être qu'un moment choisi, et l'accumulation de moments a priori disparates forme un kaléidoscope à l'abord froid mais qui se révèle finalement d'une grande richesse. L'art ici est aussi bien constitué de banales observations du quotidien que de riantes pensées qui finalement ressortent nettement, même si l'ensemble de cet Autoportrait semble voué uniquement à l'absurde kafkaïen visant à stabiliser le mouvant !


Un parcours en pointillés, une construction complexe où l'on reconnaît ses intérêts picturaux (sans doute Seurat n'est pas loin...) et non pas une série de phrases désordonnées [2], voilà un portrait pointilliste qui se déroule aussi par tranches thématiques (littérature, musique, politique, etc.) de manière à constituer toute une éthique en situation. Si la sécheresse du style pourra rebuter quelques lecteurs non avertis, cette absence d'effet de manche ou de mise en scène, dessine pourtant une manière d'universel car il s'éloigne autant que faire se peut de l'autobiographie et délivre plutôt, dans l'amas du dit, sa propre poétique. Le lecteur, quant à lui, s'il tient jusqu'au terme de cette folie exemplaire de rigueur et de réussite, ne pourra qu'en être heureux, car il aura vu aussi se dessiner son propre visage.


Loïc Di Stefano


(1) Voir notamment son très étonnant Reconstitutions (éd. Phileas Fogg) qui met à nu la vacuité des situations quotidienne en photographiant des personnages sans décor ni expression en des poses qui stigmatisent le réel, rien de moins.


(2) Contrairement à l'opinion du « dandy déjanté », ce n'est pas un texte « où chaque phrase n'a aucun lien avec la précédente », et monsieur Beigbeder (dans A nous Paris, n° 264, avril 2005) qui se croit malin en flagellant sa propre nullité dans les média et son dernier machin. 


Edouard Levé, POL, mars 2005, 126 pages, 14 €


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