Cécile Coulon est né le 13 juin 1990 à Clemonrt-Ferrand, où elle fait ses études de lettres (hypokhâgne, khâgne, master). Passionnée de sport, de musique et de cinéma, elle développe un goût précoce pour l'écriture. Elle publie son premier roman à 17 ans.

Cécile Coulon à maturité

Révélation de la rentrée littéraire, Cécile Coulon, étudiante, publie à 21 ans son quatrième livre. Déjà remarquée pour son précédent roman, Méfiez-vous des enfants sages, Cécile Coulon, grande lectrice de littérature américaine, confirme la maturité de son écriture et la maîtrise du style, sobre, direct, vif ; ce qui n’empêche pas le sens du détail et de la précision et celui des métaphores, drôles, parfois cruelles. Des livres qui s’écoutent autant qu’ils se lisent.

— Comment résumeriez-vous votre nouveau roman ?

C’est l’histoire d’une famille, dans la campagne américaine, au début du siècle, qui a tout réussi, sauf ses enfants. Le lecteur suit la vie de Thomas, le fils, pendant environ vingt-cinq ans. Il s’agit d’essayer de comprendre comment il va se développer. Et malgré tous les vecteurs qui auraient pu l’aider, cela va mal se passer.

« Être écrivain n’a rien à voir avec le fait d’écrire des livres. Aujourd’hui, être écrivain, c’est devenu une figure, un fantasme. »

 

— Pourquoi les États-Unis ?
Il y a très peu de références. L’idée de départ était de trouver un endroit qu’on ne connaît pas : la campagne profonde. Après, pour ne pas perdre le lecteur et avoir moi-même quelques repères pendant l’écriture, j’ai situé cette campagne en aux États-Unis, pour la même raison que le précédent roman : je n’ai pas l’impression de pouvoir donner un regard sur la France. De plus, les États-Unis sont le lieu de tous les possibles, l’espace géographique et intellectuel où l’on peut mettre tout ce que l’on veut.

— Pour que cela soit cohérent, il faut tout de même un peu de documentation…
La documentation n’est pas forcément américaine. Il y a par exemple de la documentation sur le milieu forestier, puisque ce sont des exploitants forestiers. Mais géographiquement parlant, il n’y en a pas.

— D’où l’idée de cette famille est-elle venue ?
D’un principe simple, qui peut paraître complètement éloigné, mais qui ne l’est pas : je voulais initialement travailler sur le thème de la disparition. Pourquoi quelqu’un choisit de ne plus être présent aux yeux d’un groupe dans lequel il a toujours été inclus ? Cela partait d’un fait familial, la disparition d’un cousin, pendant dix ans, qui m’a beaucoup marquée. C’est ce que je voulais essayer de disséquer.
Puis, par le biais de la disparition d’un homme, je me suis rendu compte qu’il y avait cette possibilité de ne plus s’inclure dans une famille qui, pourtant, a réussi quelque chose. Pourquoi, quand on a toutes les clés, même si elles ont été difficiles à fabriquer, on les rejette, volontairement ou non ? Voilà pourquoi l’idée d’une famille qui a tout pour réussir, même si, comme toutes les familles, elle a des parts d’ombre. Même si ce gamin peut et veut aller encore plus haut, ou être au moins à la hauteur de ce qu’ont fait ses parents, il y a quelque chose qui va faire qu’à un moment donné, ce n’est pas possible.

— C’est votre quatrième livre.
Le troisième roman et le quatrième livre, oui. Puisqu’il y a eu un recueil de nouvelles.

— Y a-t-il un fil conducteur, des obsessions que l’on retrouve dans les quatre ?
L’obsession du microcosme humain. L’obsession de l’humain et aussi de l’histoire. C’est-à-dire de trouver un récit qui a un vrai sens narratif, thématique et stylistique. En fait, c’est quelque chose de très enfantin. Quand on demande à des enfants pourquoi ils ont aimé un livre, tous vont répondre : « Parce que j’aime bien l’histoire. » Si nous avions tous ça en tête, il n’y aurait que des bouquins de fous ! Et je veux aussi écrire pour ça, pour me dire que cette histoire que je me suis donnée et que je vais donner aux autres a les capacités de provoquer une rencontre.

— Êtes-vous une grande observatrice du monde qui vous entoure ? En tirez-vous des idées de livres, de passages ?
Non, pas du tout. Par contre, quand des choses me marquent ou me choquent, je les garde tout naturellement. Ce n’est donc pas de l’observation à proprement parler. Il faut que ça me touche, que ça reste en moi. Alors, peut-être vais-je le réutiliser, en faire quelque chose.

— Y a-t-il une part d’autobiographie dans ce que vous écrivez ?
C’est la question qui tue ! Quand on écrit, même une notice de médicament, il y a de l’autobiographie, puisque les choix d’écriture, de mettre tel mot à tel endroit, sont personnels, subjectifs.
Maintenant, dans ce que j’écris, il n’y a absolument pas d’autobiographie d’un point de vue factuel. Peut-être parce que je n’assume pas le fait d’écrire des livres. Après, d’un point de vue stylistique, il y a évidemment de l’autobiographie. Quelqu’un qui écrit des livres y met forcément sa patte.

— Pourquoi n’assumez-vous pas le fait d’écrire des livres ?
Il y a beaucoup de gens qui écrivent des livres, et je trouve qu’ils sont devenus tellement inhumains que cela me fait peur. J’ai peur de devenir parano, renfermée, de frimer… C’est finalement une perte de temps. Comment un acte aussi beau que l’écriture peut-il amener à des sentiments aussi misérables ? Je n’ai pas envie de ça, et c’est pourquoi je n’assume pas le fait d’écrire.

— Vous n’assumez pas, mais, paradoxalement, à vingt-et-un ans, vous avez déjà écrit quatre livres !
Être écrivain n’a rien à voir avec le fait d’écrire des livres. Aujourd’hui, être écrivain, c’est devenu une figure, un fantasme. Quelqu’un qui écrit des livres peut très bien regarder  Koh-Lanta à la télévision, avaler des Kinder, et faire de la course à pied quand il a fini sa page. Mais en France, cela paraît impossible. Je rejette la vision qu’on a des écrivains.

— On voudrait faire croire que pour avoir du talent, il faut énormément souffrir…
C’est ça. Et il y a un problème. On a le droit d’être heureux, bien dans ses baskets, et d’écrire des livres qui sont intéressants. Je n’assume pas ce que les autres ne veulent pas assumer, le fait que le bien-être et l’écriture peuvent aller ensemble.

 Vous souvenez-vous de l’instant où vous vous êtes dit que vous vouliez écrire des livres ?
Je crois que je ne me le suis jamais dit. Ou alors quand j’étais petite, un jour où mes parents me lisaient une histoire, j’ai dû me dire que ça devait vraiment être bien d’écrire des histoires – mais pas des livres, des histoires.
Mais à aucun moment je ne me suis dit que j’allais écrire des livres. Comme je ne l’assume pas… Et en plus, je ne le crois pas. À chaque fois qu’un livre sort, je me dis que si ça marche, c’est très bien, mais que si ça ne marche pas, je ferai autre chose. Je n’ai pas de vision à long terme. Je profite de ce qui m’arrive, d’autant que c’est arrivé par hasard.

— Votre tout premier livre, à seize ans, était un roman. Comment sa publication a-t-elle eu lieu ?
Ma mère a donné le manuscrit un éditeur qui venait de monter sa maison – les Éditions Revoir – à Clermont-Ferrand. Il avait encore un autre métier à côté : il travaillait pour un imprimeur. Ma mère l’a rencontré par ce biais. Et lorsque j’ai été publiée pour la première fois chez Viviane Hamy, pour mon troisième livre, c’est une copine qui a envoyé le manuscrit.
 

« J’ai été très marquée par la littérature américaine. Steinbeck en premier, parce qu’il attrape au vol des choses qui paraissent totalement insignifiantes et qui finalement sont absolument sublimes. »

 

— Pour vous, c’est donc à chaque fois un one shot.
Totalement. Je ne me suis jamais dit qu’il fallait que je fasse un contrat pour dix livres.
Paradoxalement, je pense que l’on peut reconnaître un bon écrivain à son talent sur la durée. Justement, de ne pas faire un one shot, de ne pas tout mettre dans un seul livre et de plus rien faire après ou faire des choses de mauvaise qualité. Dans ce que cas, il vaut d’ailleurs mieux ne plus rien faire.
Pour autant, je me dis que si ça ne marche pas, si un livre ne rencontre pas de lecteurs – et il y aurait alors certainement de très bonnes raisons à ce qu’il n’y ait pas de réception –, ce n’est pas très grave. Il y a dix mille formes d’écriture possibles.

— Vous suivez des études de Lettres.
Oui. À côté de ça, je travaille dans la restauration, je fais des piges pour des magazines… Je fais tout ce qui me permet de découvrir des gens, de me bouger.

— Avez-vous toujours été une grande lectrice ?
On peut lire beaucoup de livres et ne pas s’en rappeler, ne rien assimiler. Vaut-il mieux lire dix livres par semaine mécaniquement ou en lire un par mois et l’avoir assimilé ?

— Pourriez-vous vivre sans livres ?
Oui. Cela me fait penser à Fahrenheit 451. Les livres n’existent plus ; des gens les ont appris par cœur et les récitent. Donc oui, je pourrais vivre sans livres, parce qu’il y aurait forcément d’autres méthodes, notamment orales, pour transmettre les histoires. Une fois de plus, c’est l’histoire qui m’importe en premier.

— Donc, tout ce qui est purement stylistique ne vous intéresse pas.
Je ne dirais pas ça. De toute façon, dans la notion de bonne histoire, il y a forcément un bon style. À l’écrit comme à l’oral. Donc oui, le style compte. Cela va ensemble, se complète. Après, Flaubert qui parle de la tentation du livre sur rien, là, c’est un exercice de style, ce qui est totalement différent.

— Quels sont les écrivains qui vous ont influencée et qui, aujourd’hui encore, vous accompagnent ?
J’ai été très marquée par la littérature américaine. Steinbeck en premier, parce qu’il attrape au vol des choses qui paraissent totalement insignifiantes et qui finalement sont absolument sublimes. Elles ne sont pas sublimes par le style, par la façon de raconter, mais parce qu’elles arrivent à un moment où on leur permet de l’être. Le premier Steinbeck que j’ai lu, À l’est d’Éden, m’a vraiment marquée. Autant Des souris et des hommes ne m’avait pas touchée plus que ça, autant À l’est d’Éden m’avait beaucoup marquée, tout comme Rue de la sardine.
Chez les Français, je suis beaucoup plus sensible à la poésie. C’est quelque chose qui me bouleverse. De grandes émotions passent par la brièveté. C’est ce qui m’intéresse et que l’on retrouve chez les poètes français comme chez les romanciers américains. C’est pour ça que cela va ensemble.

— Vous souvenez-vous du premier texte que vous avez écrit ?
J’ai écrit de petites choses au début du collège. Je me souviens que je mettais beaucoup d’action. Il fallait du mouvement. Il n’y avait pas de description… que des verbes. C’était un manuel de conjugaison !

— Pour revenir sur la question du fantasme lié aux écrivains…
Il est grave. Il fait du mal. Autant le fantasme de la blonde avec des gros seins n’a jamais fait de mal à personne, autant celui-là fait vraiment du mal.

— Sans parler de votre famille et de vos très proches, est-ce que le regard que les autres portent sur vous a changé depuis que vous êtes écrivain ? Est-ce un regard qui dérange ?
Effectivement, concernant mes parents et mes amis, le regard n’a absolument pas changé. Leur façon de définir un être ne va pas changer. C’est le principe d’un parent et d’un ami.
Concernant les autres, c’est comme tout : il y a des choses extraordinaires, des encouragements énormes, et il peut y avoir des jalousies imbéciles. Mais c’est normal, ça fait partie du jeu. Évidemment, je préfère quelqu’un qui me dit C’est bien, continue à quelqu’un qui me dit : C’est vraiment de la daube.

— Inscrivez-vous ce que vous écrivez dans une logique ? Avez-vous déjà en tête votre prochain roman ?
Non. Je n’ai déjà pas de plan dans en tête quand j’écris un livre… ! Et quand c’est fini, c’est fini. Il n’y a pas de toute-puissance du livre – c’est peut-être paradoxal de dire ça pour quelqu’un qui écrit des livres. Mais même si le livre est un bel objet, un objet important, ce n’est pas un objet organique pour autant. C’est un support pour une histoire.

Une fois que c’est terminé, généralement, pendant un mois, je fais autre chose, je bouquine. Je m’occupe aussi de la correction, de la promotion… Et après, quand j’ai un peu de temps, je commence un autre livre. Mais il n’y en a pas un qui serait plus important que les autres, où il y aurait plus de souffrance… C’est hors de question.

— On sent là l’innocence des vingt ans.
Sûrement. Et je changerai peut-être d’avis dans quelques années, en me disant que tel livre était très important et que je ne m’en suis pas rendu compte. De toute façon, en répondant à vos questions, je le fais vraiment à partir de mon contexte personnel actuel. Je ne suis pas en mesure de dire ce qu’il en sera dans quelques années.

Propos recueillis par Joseph Vebret (janvier 2012)

Cécile Coulon, Le roi n'a pas sommeil, Éditions Viviane Hamy, janvier 2012, 152 p.-, 17 €
Photos © Barbara Marangon

2 commentaires

Très belle interview !

izi

J'hésite à lire l'un de ses livres tant les sujets sont toujours liés aux Etats-Unis (probablement la seule inspiration de cet auteur qui rêve ou de vivre là-bas ou de se rendre dans ce pays à moins qu'elle vise un public large). Tout ceci m'attriste pour un auteur français qu'elle n'ait aucune inspiration  sur son propre pays ou sur le continent européen ou encore un autre continent que l'Amérique du nord. Je pense même qu'il s'agit d'un Toc dont elle ignore l'existence.