L'Encre, les entrailles de la littérature selon Fernando Trias de Bes

Rares sont les livres qui vous portent aussi bellement qu'Encre dans les entrailles de la littérature, des mots, des métiers du livre et de la passion des hommes.

La muse ne peut résister à l'attrait du corps de son amant, couvert d'un étrange tatouage. De l'encre sur le corps. Son mari, libraire, reçoit la visite d'un auteur, mathématicien assez farfelu qui cherche la raison de toute chose, d'abord dans les chiffres, puis dans les livres. Tous deux se convainquent qu'il faut appliquer la recherche méthodique dans chacun des livres, qui disparaissent peu à peu, pour ne survivre qu'en une seule phrase. Quand le livre est achevé, il faut l'imprimer, mais avec une encre qui permettra de n'être lue qu'une fois, une encre qui disparaisse à la lecture. Puis il faut un correcteur, et enfin un éditeur, et chacun de nourrir sa propre lubie au contact de ce rêve fou de créer « un livre inexplicable. Une identité étrange où la déraison acquiert un sens. Disons qu'il dévoile la raison. » Si l'éditeur permet l'apanadiplose dont il est question de manière subreptice, c'est qu'il permet d'achever un cycle magique et d'accomplir la destinée

Ce livre, qui ne doit pas pouvoir être écris ni lu, mais pourtant dévoiler « le pouvoir des mots à transcender leur propre identité », se transmet par contagion d'un protagoniste l'autre, dont chacun va nourir sa propre lubie et tenter d'y trouver la réponse à sa propre faille intérieure. Le livre, aussi fantasmatique soit-il, catalyse la recherche obnulitante où chacun s'oublie. La quête philosophique sur la notion d'identité — si un est égal à un cela n'exclut-il pas tout autre chose à quoi un serait pareillement égal ?  deux choses différentes peuvent-elles être égales tout comme deux choses égales peuvent-elles être différentes ? — est un fil conducteur d'Encre, parmi d'autres, mais le fil qui permet de comprendre pourquoi « Le zéro pouvait à nouveau se transformer en un » et qui donne une raison aux hommes de se croire satisfaits dans leur propre quête.

Encre est un roman réjouissant, aussi bien pour le lecteur précieux qui s'attache à l'écriture, ici parfaitement maîtrisée entre conte philosophique et jeux de l'esprit, que pour le lecteur qui va se plonger dans cet étrange parcours d'une folie contagieuse et cette enquête sur les pouvoirs du livre, des mots, de l'encre. Car Encre est aussi — surtout ! — le roman des passions littéraires vues du côté des artisans du livre. C'est un livre en hommage aux livres, à la littérature, aux passions culturelles, aussi bien qu'aux hommes qui mettent tout en œuvre, y compris leur folie, pour répondre aux plus profondes interrogations personnelles, qui cherchent la raison des choses, qui cherchent l'Absolu dans l'intime. Encre est le roman de la littérature, borgesien en diable !


Loïc Di Stefano

Fernando Trias de Bes, Encre, Actes sud, « lettres hispaniques », mai 2012, 167 pages

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