Millenium de Stieg Larson

MILENIUMDepuis bientôt un an, Millénium est sur toutes les lèvres. Journaux et critiques parlent même de Milleniumania. Un gros succès effectivement, puisqu’en France, la trilogie s’est vendue à près d’un million d’exemplaires et a été traduite dans 25 pays. Un succès étonnant car nous connaissons peu la littérature suédoise et Stieg Larsson encore moins, enfin jusqu’à il y a deux ans. Un succès étonnant mais explicable cependant.

Millénium, c’est d’abord un gros coup éditorial. Hiver 2004, Stieg Larsson rencontre Eva Gedin, éditrice à Nordstedt, le double suédois de Gallimard. Il lui remet les trois tomes de Millénium. Malheureusement, quelques mois plus tard, Stieg Larsson décède d’une crise cardiaque. Début 2005, Marc de Gouvenain, des éditions Actes sud, lit les manuscrits et décide d’en acheter les droits à un prix modeste si l’on considère que les Américains ont dû débourser 205 000 euros par la suite. Il est prêt à tout mettre en œuvre pour faire publier la trilogie : il va créer dans ce but, une nouvelle collection « Actes noirs ».

La couverture d’abord car au-delà du fond, la forme joue ici énormément. La couverture est noire, bordée de rouge et au centre, un médaillon morbide et gothique attire le regard. Ces médaillons sont l’œuvre de John John Jesse (1), un graphiste punk new yorkais déjanté et à l’univers bien particulier. Celui du premier tome n’est pas sans nous faire penser à Christina Ricci dans la Famille Adams : de longues tresses noires corbeaux encadrant un visage rond et d’un banc diaphane, le cou orné d’un collier de têtes de poupées. L’univers de Jesse colle parfaitement à celui de Stieg Larsson : la femme de la fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette colle à l’image que le lecteur peut se faire de Lisbeth Salander, une des héroïnes de Millénium. L’illustration nous plonge directement dans l’atmosphère du livre.

Celle-ci se poursuit à la lecture des titres composant la trilogie : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, La fille qui rêvaient d’un bidon d’essence et d’une allumette, La reine dans le palais des courants d’air. Un titre doit normalement attirer le regard et, en quelque sorte, résumer le thème ou le genre du livre. Pourtant avec des titres aussi longs et énigmatiques, il ne reste plus qu’une seule solution : se faire un thé, se caler dans le canapé (avec le plaid et le chat sur les genoux c’est encore mieux !) et s’atteler à leur lecture.

Le premier tome s’ouvre sur la tempête médiatique que subit Mikael Blomkvist, un célèbre journaliste connu pour avoir démantelé un gang de braqueurs, ancien rédacteur en chef de Millenium, revue d’investigation. Il vient d’être condamné pour diffamation à l’encontre d’un industriel Hans-Erik Wennerström. Il est alors contacté par un riche industriel qui lui propose d’enquêter sur la disparition de sa nièce à la fin des années 60 en échange d’une somme d’argent importante et de preuves incriminant Wennerström. Lors de cette première enquête, il est aidé par Lisbeth Salander, hacker géniale, pourvue d’une mémoire photographique impressionnante mais qui, on le comprend vite, cache un certain nombre de secrets sous une attitude rebelle quasi autiste. Si le premier tome tourne autour d’une enquête « classique » pour un roman policier, le deuxième et troisième tome s’oriente très vite sur cette jeune femme et son passé. C’est elle, la véritable héroïne de Stieg Larsson.

Ces deux personnages sont une des raisons du succès de Millénium. En effet, Mikael Blomkvist semble être une sorte de double de l’auteur : Blomkvist est l’ancien rédacteur en chef de Millénium, Larsson était le rédacteur en chef de la revue trimestrielle (comme Millénium) Expo. Superblomkvist est connu pour ses positions et sa lutte contre les industriels véreux, Larsson, quant à lui, a enquêté sur les groupuscules d’extrême-droite (il a même fait l’objet d’un attentat) et considère le journalisme comme un service public devant faire office de contre pouvoir. Au-delà de ces ressemblances, la personnalité de Blomkvist, sa vie personnelle en font un personnage tour à tour attachant et agaçant. Et c’est cela qui est intéressant : il est très loin d’être parfait.

Mais le personnage le plus intéressant et énigmatique reste Lisbeth Salander. Elle est maigre (42 kg), à la limite de l’anorexie, plate comme une planche à pain, brune, les cheveux très courts, tatouée, couverte de piercing : on est loin du sex-symbol. Pourtant, sous son physique d’adolescente, Lisbeth cache une volonté ou plutôt une hargne exceptionnelle symbolisée par la matraque électrique qu’elle trimbale tout au long des trois tomes. Rebelle est un mot faible pour la caractériser : elle parle peu, elle refuse toute intimité et il ne vaut mieux pas marcher sur ses plates-bandes. Pourtant, elle a une sorte d’intégrité bien à elle. En effet, hacker internationalement reconnue dans le milieu, elle est capable de pénétrer dans votre ordinateur et de déterrer vos secrets les plus noirs. Son passé est trouble : fille d’un psychopathe qu’elle a essayé de brûler vif après qu’il ait battu sa mère, elle est internée à l’âge de 13 ans avant d’être mise sous tutelle et fichée par les services sociaux à sa majorité. En bref, on ne sait quoi penser d’elle et c’est ce qui nous pousse sur des centaines de pages à continuer notre lecture pour essayer de cerner ces personnages atypiques.

L’ambiance est à la paranoïa, surtout dans les tomes 2 et 3 : en effet, une section secrète de la Säpo, la police secrète suédoise, cherche par tous les moyens à se débarrasser de Lisbeth. L’histoire aurait pu être mal ficelée, peu crédible, pourtant elle l’est grâce à l’écriture réaliste de l’auteur. Ce réalisme est renforcé par l’apparition de personnes réelles comme le boxeur suédois Paolo Roberto et les nombreuses mentions à la vie politique et culturelle suédoise.

Si Millénium est un excellent roman policier, il n’est cependant pas exempt de critiques. Certains aspects sont surprenants : ainsi, il semble que les suédois passent très facilement au tutoiement. Certaines situations deviennent ainsi surprenantes : par exemple, lors du procès de Lisbeth, le juge tutoie les témoins. Le glissement du vouvoiement au tutoiement n’est pas toujours bien négocié. On note également de nombreuses erreurs de traductions : fautes de temps, pléonasmes, « suédoisisme »… la liste est longue et tape sur les nerfs des puristes (ce qui peut se comprendre).

Enfin si la trilogie a beaucoup fait parler d’elle, c’est aussi suite à la question de l’héritage de Stieg Larsson. Un testament de 1977 léguait la fortune de l’auteur au parti socialiste suédois. Ce dernier a refusé le testament ne voulant pas participer aux querelles l’entourant et estimant que la somme devait revenir à Eva Gabrielson, la compagne de Stieg Larsson. Celle-ci n’étant pas couchée sur le testament, l’héritage revient au père et au frère de l’auteur. Ces trois protagonistes (on se croirait presque dans les Feux de l’amour) s’affrontent donc autour de la fortune et des droits d’auteur de Millenium. Pour le lecteur, en manque à la fin du troisième tome, la question est d’importance : la compagne de Larsson détient l’ordinateur portable de l’auteur qui contiendrait l’ébauche du tome 4… Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist n’ont donc peut être pas fini de faire parler d’eux.


Julie Lecanu

 Stieg Larson, Tome I : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, juin 2006, 490 pages, 22,80 euros.
Tome II : La fille qui rêvaient d’un bidon d’essence et d’une allumette, novembre 2006, 550 pages, 23 euros.
Tome III : La reine dans le palais des courants d’air, septembre 2007, 700 pages, 23 euros.

 


 1) Pour en savoir plus sur l'oeuvre de John John Jesse

 


 

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1 commentaire

j'ai "dévoré" les trois..!!passionnant ,bien écrit  Le pays ..les villes trés imagés..trés bon souvenir..de lecture