Il n'y a personne pour vous répondre

Y aura-t-il quelqu’un pour vous lire ?

Une série de nouvelles, voire de micro-nouvelles, ne dépassant pas trois pages la plupart du temps, situées dans la géographie à la fois imaginaire et ancrée dans la terre natale de l’auteur : autant de saynètes qui parlent de désillusions, de chutes de murs, fussent-ils de Berlin ou des maisons ravagées par les guerres d’Europe de l’est. Entre humour un peu froid et regard à vertu un peu pédagogique, on navigue entre deux eaux dans ce recueil inégal.

O tempora, o mores !

L’écrivain ne cache pas son attachement à l’identité de l’est, quand bien même une nouvelle vient infirmer ce jugement, en déclarant que l’identité nationale est une notion qui fait horreur à la narratrice. Là n’est pas la moindre des incohérences de cet ensemble disparate. La traduction, peut-être, est la cause de broc-à-brac stylistique, ni très soigné, ni très pertinent, où le mot se fait soit familier soit courant, sans grande recherche. L’auteur cite Raymond Carver, dont on connaît l’écriture minimaliste. S’agit-il d’une imitation ? Il est peu aisé de juger une traduction quand il s’agit de style. On se contentera de souligner l’étrange patchwork qui hésite entre une narration à la fois neutre et engagée dans des interventions à l’intérêt douteux, pataugeant dans une prose malaisée, cahotique, répétitive, pauvre de sens et de mots. Il est fort dommage de voir ainsi se diluer le regard que l’on comprend acéré, désabusé sur le monde et les humains qui le parcourent. Le contenu du propos est incisif, avec ce point de vue si terriblement slave, évoquant, de très loin, Gogol et Pouchkine. Les sujets les plus banals sont abordés, dans une kyrielle de nouvelles qui pourraient être autant de pages de journal intime, de fragments autobiographiques. On rit quelquefois à la lecture de portraits bien campés l’espace d’un paragraphe, mais quelle désespérance lorsque l’auteur aborde une réflexion sur la modernité et l’évolution des mœurs ! D’un ton à demi plaisantin et critique, on passe à une avalanche de clichés sur la sexualité, la technologie, la politique, les médias… Qu’est-ce donc que cette bifurcation vers ce que le journalisme de seconde zone peut produire de pire ?

Quod erat demonstrandum

Cette suite de courts textes ne saurait masquer l’intention globale : un tour du monde de la bêtise, de la bassesse, de l’absurde qui sont autant de qualités coextensives à l’humanité. C'est d'ailleurs sans doute cette seule intention qui a fait la si grandiloquente réception de ce livre un peu partout dans la presse. Mais il est assez curieux de constater le manque d’unité, de liaison entre les différents textes, les différentes grandes parties. Ce flottement est pénible : d’une anecdote présentée sous forme de conte quasi-déréalisé, on passe à la relation prosaïque de quelque lieu commun sociologique. Est-ce volontaire, cet effet d’ascenseur, du bas étage de la prose triviale jusqu’aux essais de hauteur stylistique digne d’une portraitiste de talent ? On ne saurait nier les qualités évidentes de l’auteur, connue pour d’autres ouvrages (Le Ministère de la douleur ou encore Ceci n’est pas un livre). Mais on est porté à croire que le présent recueil ne parvient pas à associer l’acuité nécessaire au genre ciselé que constitue la nouvelle à un souffle, un lien global permettant de saisir un tout narratif, un ensemble qui pense. C’est une comédie humaine au mécanisme faussé par une parole hésitante qui n’hésite pas, hélas, à se faufiler dans les interstices du mur fragile du style, fractures qui s’ouvrent sur un texte aux allures de pensum malhabile.


Romain Estorc

Dubravka Ugresic, Il n'y a personne pour vous répondre, Albin Michel, " Grandes traductions", septembre 2010, 317 pages, 24 euros.

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