La marche au canon, ou les bons lapins de la drôle de Guerre, un inédit de Jean Meckert

Les éditions Joëlle Losfeld reprennent un oublié du catalogue Gallimard, pourtant magnifique de vérité et de férocité, Léon Werth de son siècle lâche : Jean Meckert, salué par André Gide ou Roger Martin du Gard et dont La Marche au canon que voici est purement et simplement inédit. Et magnifique.


La drôle de guerre, qui vit l'armée française s'enliser dans l'attente d'un combat improbable et qui fut perdu le temps que la fleur au fusil se fane, le temps que les soldats se soulent de mauvais vin et de faux espoirs, est le lieu par excellence de l'attente ridicule, source de nombreux romans et témoignages. Récit de cette situation douloureuse parce qu'inattendue, La Marche au canon révèle un Jean Meckert sensible et doucereux.

« On m'avait mis dans la guerre. On y avait mis le monde. Pourquoi ? Pourquoi ça ? on m'avait mis de force dans cette guerre que je ne voulais pas. »

De cette guerre, Augustin Marcadet, porte-faix de l'auteur, ne verra rien. Pas de vrais soldats, pas de champ de bataille, des blessés en civière, ses camarades réunis comme à l'aventure et quelques obus venus s'écraser non loin de lui, sur le même train qui le ramenait à l'arrière, mais quelques voitures devant. Ce n'est qu'une succession de rencontre, de beuveries sans fin où s'étale la misère militaire, de réconfort entre bons camarades, les lourdeurs grivoises et les pensées aux épouses restées à l'arrière. C'est une histoire par les petits bonhommes dispersés sous le vent de la panique et qui ne peuvent s'en remettre qu'à eux-mêmes : l'ennemi est invisible et partout, les officiers ont fui plus vite encore, la désorganisation est totale.

« [...] nous bons lapins de la drôle de guerre »

Le seul combat que mènera cette troupe disparate, c'est contre la femme d'un bistrot qui, à force d'être vandalisée, ne voulait pas les servir : « A trois dessus pour la faire taire on a cogné comme des salauds, comme des flics, comme des brutes, comme des bêtes... », résultat d'une déshérence qui fait perdre à chacun le fond d'humanité. Pour s'imposer un peu, jouer son rôle d'homme en guerre, il fallait cette victime trop facile où les restes d'un honneur vain se perdent. Mais la petite bravade vaut fait d'arme pour la troupe avinée : « Rien à payer  ! On s'en allait ! Ils souriaient tous les deux, platement. Ils avaient senti le drame aussi, la saloperie réveillée, déchaînée, anonyme, qui pouvait les crever au passage, comme des poulets des bords de route. Ils s'en tiraient à bon compte. Ils sauraient désormais qu'on file doux devant la force armée, dans les jours de défaite ! » 

Un roman d'hommes, perdus, qui finissent déserteurs et s'abritent en Suisse, comme de si nombreux soldats français que l'on opposera sans cesse aux Poilus de 14, mais sans honte puisqu'ayant tenu plus longtemps sur l'improbable front que les officiers et sous-officiers premiers à s'enfuir. Alors déserteurs ? Pour quoi ? L'honneur de l'armée quand d'armée il n'y a jamais eu ? « Mon nom est vérité. Et je n'ai rien à me reprocher ! »

Dans une langue populaire parfaite de connivence avec  son personnage, et qui donne un charme redoutable à ce court récit, Jean Meckert transpose plus qu'un état, un paysage de la bassesse de l'homme abandonné à lui-même, mais un réel tragique qui dépasse l'épisode pour l'exemplaire.

Loïc Di Stefano

Jean Meckert, La Marche au canon, Editions Joëlle Losfeld, "Les œuvres de Jean Meckert" 1, mars 2005, 108 pages, 8,50 euros

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