Reliques, Henri Raczymow poursuit son introspection et feuillette l'album de famille

Ce que je fus

Continuant son introspection, Henri Raczymow publie une manière de complément immédiat et, coup sur coup, à Avant le déluge paru en mars. Mais si le fond est proche - l'enfance d'un homme, ses racines et ses traces - l'approche est radicalement différente, autant que peuvent l'être deux textes d'un même auteur sur le même sujet : lui-même.

Reliques est une manière d'album de famille - de reliquaire où protéger les trésors de l'intime -, de traces sorties des limbes de ses propres archives et qu'il faut combler par le texte. Car le texte, ici, illustre la photographie, vient lui donner une justification dans le temps propre à l'auteur, plutôt que l'habituel contraire. Deux enfants marchent bras dessus bras dessous dans une rue parisienne. Qu'est-ce pour nous sinon une jolie image d'un passé qui ne nous appartient pas ? Pour Henri Raczymow, c'est l'amour d'enfance de son frère Alain pour la petit Judith, mais c'est aussi la « chute dans le temps », car c'est la marque que ce passé lui signifie quelque chose, à lui qui regarde et qui reconnaît, et qui nous montre, signifie qu'il a vieilli. Et, regardant sa vie et son oeuvre - une vingtaine d'ouvrages - par la lorgnette de l'album de sa propre famille.

Reliques est un composé décomposé de temps, une poésie des moments de la vie et de la mort, de l'amour aussi, pour le frère Alain, « c'est toi, mon plus vieux copain », pour la mère Anna, pour les jeunes filles réelles ou fantasmées qui ont marquées sa jeunesse. Mais plane sur tout cela, comme l'implacable et sournoise vérité du temps, l'ombre d'Auschwitz. Tout ce qui sera dit est d'après le déluge, d'après l'extermination qui détermine Henri Raczymow dans sa judéité, quoi qu'il en ait !

« Credo quia absurdum »

Citant Saint-thomas d'Aquin - je crois parce que c'est absurde - Henri Raczymow refonde sa mythologie juive personnelle, instaure pour lui-même un temps où il ne sera pas question de religion mais d'humanité, de communauté. Si tout est un retour à l'événement capital, c'est parce que l'humain, à ce moment là, a perdu le temps. Pour retisser le fil, il faut à la fois reprendre au fond de soi le chemin qui fut le nôtre et se réinstaller soi-même dans le temps. Ce sont ça, les reliques, ce sont les ruines du temps que l'on porte au fond de soi et qui ne disent rien à personne d'autre, ce sont nos petits trésors.

Chacun étant autonome, le récit ne peut être romanesque, et Henri Raczymow de préciser dès sa « préface » qu'il fait comme le renard de la fable, il rechigne aux raisins qu'il ne peut attraper en les jugeant trop jeunes pour son palais. L'écrivain, ici, renonce au « grand romanesque parce que le roman [l'a] renoncé », parce qu'est révolu le temps de la narration. Vient le temps du repos, de la contemplation. Et par ces belles images d'une vie, c'est aussi une oeuvre qui s'impose, celle d'un certain regard, juif laïc qui place la littérature entre Proust et Maurice Sachs, en consacrant une partie de son travail à chacun. Les deux extrêmes de la littérature, le contemplatif et l'aventurier, le magnifique et le salaud. Les figures du vivant dans sa diversité.

Reliques est un recomposé sensible et attachant, le récit de ces temps personnels qui, en chacun, forment ce que nous sommes.

Loïc Di Stefano

Henri Raczymow, Reliques, Gallimard, "haute enfance", avril 2005, 141 pages, illustrations N&B, 13 euros

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