La Chapelle des apparences, Franck Pavloff nuit les destins du brigand Mandrin et du noble Philis de la Charce

Mandrin, le fameux brigand, et Philis de la Charce, manière de Jeanne d'Arc noble avant l'heure, sont les grandes figures de la révolte du Dauphiné au XVIIe siècle. Trahis par les bourgeois et le roi, l'armée des gueux va entrer en  guerre contre les nantis, puis errer, subir les coups et s'éteindre. Fasciné par ce sujet, où il retrouve une part de lui-même, le journaliste italien Sisco tente d'en faire un scénario. Et au hasard d'une promenade nocture aux abords de la Mostra qu'il doit couvrir mais dont il fuit pourtant les fastes, il rencontre Xerkès, le grand cinéaste grec un rien déjanté et qui fuit lui aussi les ors du festival au moment où le réel génie de sa dernière œuvre n'a pas été reconnu. Làs, ces deux destins vont s'unir d'une amitié destructrice et s'entrainer mutuellement dans une course folle et incontrôlable.


Les deux destins sont mêlés par un feu commun, celui du grec de ce qu'il porte de souffrance en lui d'avoir été torturé par la junte militaire qui règna pendant les heures noires de son pays, celui de l'italien qui s'est révolté dans les années de la poudre du terrorisme italien, et pourtant c'est d'une création qu'il s'agit, un film au réalisme si terrible qu'il doit transcender les mythes et imposer au monde un regard lucide. Dans la danse, Sisco se laisse entraîner, même s'il est vite le « mauvais génie » de Xerkès, qui fonce caméra à l'épaule filmer ici ou la les malheurs, les agonies, les morts et les monstres. Du Darfour à Grozni, Xerkès embarque une troupe hétéroclite faite de saltimbanques de grands talents et d'enfants de la balle pour les confronter sans scénario apparent à l'horreur du monde. C'est d'un schisme qu'il est question, et d'une remise en cause des fondamentaux même du cinéma, dans un film qui doit en marquer l'histoire : une armée de gueux du Dauphiné transposée comme pour montrer l'inaltérable varité du monstre-fait-homme dans les plus sales endroits où s'exprime la barbarie. 

« […] pour atteindre la vérité, il fallait s'en éloigner »

Le délire — où l'on pense à Emir Kusturica, d'ailleurs cité dans le texte — tourne vite au jeu de massacre : les acteurs, les amours, le cinéma lui-même est emporté dans une fresque improbable qui doit vouloir lui signifier sa fin tout en la magnifiant. Car ce n'est rien moins qu'un projet fou qui se met en place sous les tilleuls de la Chapelle des Apparence, lieu de retraite de la troupe, bivouac de l'armée des gueux, situé dans un arrière-pays qui pourrait être un arrière-monde, dernier reposoir avant l'apocalypse ! Tout s'enchaîne et, peut-on dire, tout est déjà condamné dès la rencontre de Sisco et de Xerkès, et pourtant la fin que l'on devine et qu'ils construisent eux-mêmes ne va cesser de les attirer comme s'il n'était d'autre moyen de se confronter à sa propre réalité. Mais la Chapelle des Apparences, qui aurait pu être le lieu de la fête s'il s'agissait de faire un film — le nom du lieu est très chargé ! —, devient le lieu du drame absolu pour tout ceux qui perdent leurs illusions dès qu'ils comprennent qu'il ne s'agit de rien d'autre que de vivre un film, la plupart du temps la camera ne tournant même pas des plans séquences où les gens et les chevaux meurent vraiment ! Le mythe Mandrin lui-même volera en éclat à être trop trituré, comme la troupe qui devait l'incarner, comme le film lui-même qui accumule bobines sur bobines sans le moindre montage... Un marrasme, un massacre, une quête éperdue de la raison et de la folie !

Roman de la fuite en avanat à la rencontre de ses propres monstres intérieurs, et roman de la fuite hors du réel pour fuir ces mêmes démons, La Chapelle des Apparences reprend la tentative humaniste du Pont de Ran-Mositar, et se sert du cinéma comme d'un miroir où défier l'absurde du monde. Beaucoup de scènes connues (la longue scène finale des africains passant la frontière pour l'Europe vient sans doute de Laurent Gaudé…) et de figures humaines reconnaissables (un Bartabas sans doute), mais une histoire qui ne livre jamais sa vérité et dont l'écriture, faussement naïve, séduira. Si le destin des hommes est tragique, le programme de Pavloff est d'avancer sans retenue pour s'offrir dans un combat inégal une chance de se prendre pour un homme. Ce n'est un combat perdu, s'il reste l'impression d'avoir levé le tête !


Loïc Di Stefano 

Franck Pavloff, La Chapelle des apparences, Albin Michel, août 2007, 395 pages, 18,50 euros

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