Je veux devenir moine zen, Kiyohiro Miura apprend à perdre et à se reconstruire

De retour d'un séjour en Amérique, si long qu'il s'exclame plus naturellement en Anglais qu'en Japonais, le narrateur et son épouse tombent par hasard sur un temple en ruine, comme l'est leur propre foi, ou à peu près. A l'instigation d'une abbesse particulièrement investie de son sacerdoce et qui concentre sur elle-même beaucoup de la curiosité et de l'attachement de ses ouailles, le temple revit, et l'on revient tous les dimanche matin pour les exercices za zen. Le narrateur y emmène un jour son fils, trublion insaisissable, et l'enfant qui ne parlait presque jamais lui annonce qu'il veut devenir moine Zen. Ce qui commence comme un jeu, que l'on reporte parce que l'enfant est encore jeune, il y a l'école, c'est une lubie, prend vite de graves proportions. Ainsi s'ouvre les abîmes sous les pas de toute la famille.

Prenant l'enfant sous sa responsabilité, comme investie du rôle de seconde mère, la bonzesse fait se rompre un à un les liens qui unissaient l'enfant et sa famille, pour lui enseigner le dépouillement total nécessaire à la vie du novice et l’effort constant qui est la voie du zen : « Quand il deviendra capable de comprendre la joie qu’on éprouve à réussir aujourd’hui ce qu’on avait raté hier, il sera un moine à part entière. » Mais cet apprentissage du dénuement matériel est plus douloureux pour les parents que pour l'enfant, aussi cachent-ils à chaque visite des cassettes de ses musiques préférées ou un peu de nourriture, des friandises... Incontestablement, les parents par ces marques d’affection naturelle vont à l’encontre du processus qui va transformer leur fils en un étranger. Mais comment admettre pour des parents, même si le choix est celui de l’enfant et qu’il a été suffisamment endurci et volontaire pour n’être pas mis en doute, la perte de ce fils ? Le drame, qui va s’illustrer par le comportement de la mère, est qu’il n’y a rien à se reprocher, rien donc qui puisse être fait pour regagner ce fils pris dans une vie nouvelle.

C’est bien sur la perte progressive du fils que le roman porte : « Il m’est difficile d’exprimer ce que je ressens dans ces moments. Comment dire, je n’ai pas l’impression de me trouver en face de mon fils, ce qui m’irrite et m’attriste à la fois. » Car il va non seulement se dépouiller de ses joies anciennes, de ses passions, de ses habitudes et habits, il est tondu, mais surtout il se voit choisir par la bonzesse de nouveaux parents, et les anciens sont peu à peu exclus. 


La transformation du fils focalise notre attention, mais celle du père n’est pas moins grande, et sa compréhension du zen est symptomatique. Quand il était en Amérique, parce qu’il est asiatique, on lui demande de définir le zen, et il répond évasivement parce qu’il n’en sait rien au fond de lui. Avec l’épreuve qu’il vit par procuration et la remise en question de ses propres qualités, son intelligence du zen gagne en finesse : « Le zen privilégie ce qui est bien pour l’individu. Le tout est d’arriver à se confronter à soi-même. » Dans l’épreuve, il comprend la nature de sa propre histoire, de ses racines. Mais le prix à payer est très cher.

Roman de l’expérience autobiographique de l’auteur, Je veux devenir moine zen, couronné en 1988 par le prestigieux prix Akutagawa, est l’apprentissage de la perte et de la reconstruction forcée. L’éveil à une nouvelle réalité, si elle permet l’accès à un état supérieur de compréhension du monde, est le prix du sacrifice ultime, celui de son propre sang. Ce« témoignage » en plongée dans les inquiétudes et les troubles du père est d’une grande finesse et d’une simplicité dans la narration, techniquement désarmante, qui est d’un charme doucereux parfaitement redoutable. La poésie du quotidien et des mouvements intérieurs de l’âme trouve ici sa plus belle expression.


Loïc Di Stefano

Kiyohiro Miura, Je  veux devenir moine zen, Picquier, "poche", mars 2005, 143 pages, 6 euros

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