Eretz, Henri Raczymow à la recherche du temps perdu

Henri Raczymow à la recherche du temple perdu ou l'Art d'accommoder l'Eretz


Le dernier chapitre ne s’intitule pas « épilogue », mais il est imprimé en italique, comme si rien ne tenait vraiment debout. Quatre pages, donc, qui rappellent un peu ces « cartons » qui, à l’issue de certains films, expédient en deux lignes le destin définitif de chaque protagoniste. Laconisme volontairement dérisoire, et souvent beaucoup plus saisissant et plus éclairant que l’histoire exposée soigneusement deux heures durant.

Car, avec Eretz, Henri Raczymow continue de construire son Guide du Routard frustré : après ses Dix jours "polonais" au terme desquels il n’avait trouvé qu’une Pologne d’opérette, le voici cette fois-ci en Israël, pays dont l’existence prouve que, contrairement à ce que pouvait penser le vieil Aristote, il est des cas où l’être n’est pas et où le non-être est. Ici encore, le « tourisme » de l’auteur est lié à une enquête sur un passé familial. Raczymow part sur les traces de son frère, Alain/Ilan, qui était allé s’installer en Eretz (« la terre » en hébreu, et donc, pour les sionistes, « la terre ») et y avait fait son service militaire. Mais Henri ne cherche pas tant à comprendre pourquoi Ilan est allé en Israël que pourquoi il en est revenu au bout de quatre ans pour finir ses jours en Corrèze. 

Il est trop tard pour demander à Ilan d’expliquer les méandres de son trajet, puisqu’il est mort d’une crise cardiaque. Mais Henri, cardiaque comme l’était Ilan, ne peut s’empêcher de s’identifier à lui à certains moments, malgré toutes les différences qui les séparaient, et, puisqu’il s’agit ici de littérature, il fait un travail à la Maigret, ou si l’on veut une référence à la tradition juive, il rejoue l’aventure du Dibbouk. Petit à petit, en dépit des quarante ans écoulés, ou plutôt grâce à ceux-ci, il se laisse peu à peu envahir par l’esprit du défunt et finit par (re)voir le moment où celui-ci a vécu son chemin de Damas à l’envers. Ilan a cessé d’être israélien le jour où il a laissé tomber le maillet que l’armée lui avait donné pour planter autour d’un village palestinien les poteaux d’une clôture de fil barbelé.

Eretz est sous-titré « récit », terme commode qu’on a trouvé en français pour désigner les œuvres dont on ne sait trop ce qu’elles racontent, mais il est difficile, en l’occurrence, de trouver mieux, puisque Raczymow raconte tout à la fois une réussite et un échec. Ou, pour parler un peu pompeusement, c’est l’échec même de son histoire qui détermine la réussite de son récit. Dans le dernier chapitre en italique, Henri se réconcilie avec son frère. Il parvient même à se défaire de la jalousie qu’il pouvait éprouver à son égard (car Ilan, semble-t-il, était le fils « préféré ») et peut regarder l’avenir plus tranquillement. 

Mais quid de l’avenir de l’État d’Israël ? Rien. Parce que, comme le dit très simplement et très clairement Raczymow dans les dernières pages, on peut tout à la fois ne pas être sioniste et ne pas être antisioniste, mais cela semble être une aberration quand on songe aux tensions et à l’agressivité que chacun de ces deux mots suscite. Certes, la solution apparaît, éclatante et souriante, au détour d’une page : attablé à un café, Raczymow est servi par un garçon dont il ne saura jamais s’il est juif ou arabe — et d’ailleurs, il s’en moque, car certaines questions seraient d’emblée résolues si l’on voulait bien s’abstenir de les poser. Seulement, s’il croit que la paix pourrait être conclue en deux semaines avec un peu de bonne volonté de part et d’autre, il n’y croit pas. Parce qu’à la question lumineuse « Pourquoi Israël ? » s’est substituée la question insoluble « Pour quoi Israël ? » Même si, comme le disait Proust (l’une des références favorites de Raczymow), la littérature, c’est la métaphore, on veut espérer que la réconciliation des parties en présence ne suivra pas exactement le même chemin que celle des deux frères et ne devra pas attendre la disparition de l’un d’entre eux pour pouvoir se réaliser.


FAL 

En complément, un bel entretien de l'auteur sur le site de l'Akadem

Henri Raczymow, Eretz, Gallimard, avril 2010, 15 euros

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