Derrière Xavier de Moulins, présentateur du journal de M6 (ne) se dissimule (pas) l’auteur de deux romans sur la recherche du bonheur.

MAMIE BLEUE

 

Disons pour simplifier — car les choses sont devenues depuis plus complexes — qu’il y a encore vingt ans on pouvait distinguer entre deux types de journalistes. Ceux qui avaient choisi leur métier dès le départ, par vocation, et les autres qui, initialement « littéraires », s’étaient rendu compte, plus ou moins vite, qu’il était difficile de s’enrichir et même de survivre en écrivant des livres et qui s’étaient résolus à recycler leur talent rhétorique en se mettant au service des médias.

            

Xavier de Moulins appartient assez nettement à la première catégorie. Certes, le teen-ager qu’il finissait d’être au début des nineties était élève de khâgne et avait déjà publié un recueil de poèmes, mais, à l’issue de ses classes préparatoires, il sentit, très vite que la discipline « littérature » allait s'enrichir de ce qu’on commençait à nommer « communication ». Formation, information, informatique... Il apprit l'art et la manière d'utiliser un clavier et se mit sérieusement à s’interroger sur l’avenir et le pouvoir des ordinateurs dans le monde contemporain. Bref, il avait senti le vent, et il n’est guère étonnant qu’il soit devenu aujourd’hui le PPDA de M6, la petite chaîne qui monte, comme le répètent régulièrement certains magazines consacrés à la télévision, mais qui monte tellement bien qu’elle commence à agacer sérieusement certaines de ses grandes sœurs.

            

Journaliste donc, Xavier de Moulins accepte certaines absurdités, certains diktats propres au journalisme, par exemple cette obligation, tombée d’on ne sait quel ciel, de traiter tout sujet en une minute trente. Quand on joue, il faut respecter les règles du jeu, même s’il arrive qu’on se sente un peu serré aux entournures. Ce sont même ces contraintes qui permettent au journalisme de flirter dans certains cas avec l’art : il ne saurait remplacer le cuivre par de l’or, mais il peut parfois faire en sorte que, comme dirait Rimbaud, un matin le cuivre s’éveille clairon.

            

Cependant, il est des sujets rebelles, des histoires qui ne sauraient se ratatiner suffisamment pour entrer dans ce sacro-saint cadre de la minute trente, en particulier celles dont les héros ont un mal de chien à avancer. Par exemple, cet Antoine Duhamel, qui se retrouve après son divorce contraint d’exercer vraiment avec ses filles ses fonctions de père de famille (tant qu’il était marié, ce titre n’était qu’honorifique), une semaine sur deux, ou qui, ironie du destin, se voit abandonné par sa maîtresse le jour même où il vient d’avouer son infidélité à sa femme. Certes, on peut se sortir de pareilles situations, mais il faut pour cela du temps.

            

Et c’est là, sans doute, que le présentateur du JT de M6 Xavier de Moulins se souvient du Xav qu’il était il y a vingt ans et qui n’hésitait pas à passer plus d’une heure pour définir devant ses camarades de khâgne la figure de Léopoldine dans les Contemplations de Hugo (oui, déjà des histoires de famille...). De temps à autre, une petite excursion du côté de la littérature offre l’autonomie à laquelle il aspire. Il s’est offert pour l’instant deux excursions : Un Coup à prendre, réédité récemment dans le Livre de Poche, centré, comme on vient de le dire, autour des déboires d’un jeune père de famille brutalement mis en face de ses obligations, et Ce parfait ciel bleu, avec, dans le rôle principal, le même Antoine, ayant à peu près réglé cette fois-ci ses difficultés paternelles, mais se retrouvant quand même dans le rôle du grand dadais face à ses compagnes passée et présente. Heureusement, il y a Mouna, sa grand-mère octogénaire, qu’il prend en charge (qu’il enlève ?) pendant quelques jours : on découvrira avec lui que, dans le couple qu’ils forment, la dépendance n’est pas forcément orientée dans le sens qu’on croyait.

            

Le nom « Antoine Duhamel » n’est pas sans rappeler celui d’Antoine Doisnel, héros de la tétralogie de Truffaut ouverte avec les Quatre cent coups (à prendre ?) et conclue avec l’Amour en fuite, et, on le verra, Truffaut est, de fait, cité par Xavier de Moulins comme l’une de ses références majeures, mais, sans doute parce qu’à l’époque de Truffaut la longévité moyenne des individus était moins grande, la question des rapports entre les générations se posait beaucoup moins. S’il y a aujourd’hui beaucoup d’arrière-grands-mères, c’est tout simplement parce qu’il y a beaucoup plus de centenaires ! Il convient toutefois de garder pieusement cette référence à Truffaut : Antoine Duhamel, c’est aussi le nom exact du fils de Georges Duhamel. Ce presque-nonagénaire n’a pas été écrivain comme son père, mais compositeur. Et Truffaut fit plusieurs fois appel à lui pour ajouter à ses images ce qui — même si l’on ne s’en rend pas toujours compte — est aussi essentiel au cinéma que les images : la musique. Si vous avez l’impression que quelque chose vous échappe en lisant Ce parfait ciel bleu, c’est que, peut-être, vous voulez trop comprendre. Faites plutôt attention à la bande-son.

 

 

Salon Littéraire <> Puisque vous êtes journaliste et écrivain, que pensez-vous de cette phrase dont la paternité est incertaine, mais que Philippe Labro avait mise en exergue de son livre Tous célèbres : « Le journalisme, c’est de la littérature qui se dépêche » ? Diriez-vous, à l’inverse, que la littérature, c’est du journalisme qui prend son temps ?

 

Xavier de Moulins <> Disons que la littérature, c’est l’anti-journalisme : pas de réalité objective ; de la subjectivité parfois brutale, de mauvaise foi, tordue par l’âme, le corps, les cœurs, la vie. En littérature, le réel n’existe pas ; il est fiction. Le journalisme n’est en rien une fiction.


Le journalisme est au service de la société, la littérature aide le monde à aller mieux, parfois. Il s’agit là de deux mondes parallèles.  

 

Salon Littéraire <> Vous publiez chez un éditeur relativement discret (Au Diable Vauvert), ce qui ne vous empêche pas d’être réédité dans le Livre de Poche. Intervenez-vous dans les stratégies éditoriales ? La couverture de votre Parfait ciel bleu, couleur mise à part, n’est pas sans rappeler l’affiche de la Couleur pourpre de Spielberg…

 

Xavier de Moulins <> Au départ, mon idée pour la couverture, c’était d’être dans l’ambiance de l’affiche d’un film de David Lynch, Une Histoire vraie. On y voit un vieux voyager sur une tondeuse à gazon sous une pluie d’étoiles. Cette image est très belle.


Mais pour ce qui est des stratégies éditoriales, je n’ai aucun rôle. Je reste à ma place : auteur, oui ; mais non vendeur. De toute façon, les stratégies finissent toujours en tragédie ; il suffit de relire Racine pour s’en convaincre.

 

Salon Littéraire <> On pense toutefois ne pas se tromper en imaginant que vous préconisez la lecture de vos deux romans, puisqu’ils constituent les deux faces d’un même paradoxe : 1. dans le premier, les enfants, qui sont du côté de la naissance, seraient plutôt pour le narrateur un facteur de dépression ; 2. dans le second, l’espoir est à trouver du côté d’une grand-mère octogénaire, donc du côté de la mort.

 

Xavier de Moulins <> A mes yeux,  l’espoir et donc la vie ne sont que d’un seul côté : l’autonomie. C’est le sujet des deux livres, qui peuvent se lire dans le désordre — le 2 avant le 1, j’entends. Antoine, le héros, fait l’apprentissage de la liberté et ce n’est pas simple. Je suis contre l’idée selon laquelle on deviendrait adulte après l’adolescence et vieux après l’âge adulte. En revanche, je crois à l’autonomie comme facteur d’épanouissement essentiel. On peut aimer autant qu’on veut, faire plein d’enfants à plein de femmes différentes — si on agit sans autonomie, on en vient à vivre pour de mauvaises raisons et les choix deviennent douloureux, voire mortifères, comme celui de la famille par exemple. L’injustice de l’histoire, c’est qu’il nous faut parfois attendre très longtemps avant de comprendre que les autres et l’autre ne peuvent avoir une place de choix dans nos vies que lorsque nous avons apprivoisé et accepté notre solitude, et dompté l’idée de fin.

 

Salon Littéraire <> Il semble impossible, quand on lit vos deux romans, de ne pas poser la question de l’autobiographie. Comment, entre autres, avez-vous pu, dans Ciel bleu, vous projeter dans l’esprit d’une octogénaire ? Vous répondez vers le milieu du livre en disant en gros, comme Mauriac, que « le secret de la vieillesse, c’est qu’elle n’existe pas », mais comment avez-vous pu déjà découvrir ce « secret » ?

 

Xavier de Moulins <> J’écris à la première personne et le plus souvent au présent parce que j’aime jouer avec l’idée d’une autobiographie. Il m’amuse de laisser penser que « j’ose » raconter ma vie alors que c’est faux à 90%.  Mais si l’on pense que je verse dans lautofiction, cela signifie pour moi que j’ai réussi à mentir et donc à travestir mon imaginaire. Pour le reste, j’observe et jécoute toujours ce qui se passe autour de moi. Les « vieux » par exemple, je les ai longtemps regardés marcher avant dessayer d’épouser leur rythme.

 

Salon Littéraire <> Le prochain roman aussi sera donc écrit à la première personne ?

 

Xavier de Moulins <> On ne change pas un homme.

 

Salon Littéraire <> Un brin d’idéologie : vous intéresseriez-vous autant aux histoires de famille s’il n’y avait pas de particule dans votre nom ?

 

Xavier de Moulins <> La particule dans un nom conduit souvent à penser que la famille va de soi et qu’elle est au-dessus de tout. Et donc à moins s’interroger sur elle qu’à la célébrer. Moi, je fais l’inverse. J’interroge la famille et célèbre l’individualité. La famille est un terrain de je formidable.

 

Salon Littéraire <> Si l’on vous dit Kramer contre Kramer et Harold et Maude… ?

 

Xavier de Moulins <> Je réponds Homère, Racine, Sophocle, Shakespeare, mais aussi le Roman de Renard, les Trois petits cochons, Bergman et François Truffaut ! Conclusion, c est toujours la même eau qui coule, un jeune avec une vieille, un couple qui se déchire... On n’invente pas grand-chose, on revisite. Ensuite, c’est une question d’intensité, de densité et d’électricité. Quoi qu’on fasse, c’est toujours l’amour qui aide à tourner les pages. Il est là, l’enjeu.

 

Salon Littéraire <> Vous jouez avec le feu vers le milieu de Ciel bleu, en employant le terme « inceste » à propos d’une fusion entre le ciel et la mer, mais comme par hasard pendant l’escapade du narrateur et de sa grand-mère…

 

Xavier de Moulins <> « Vaincre le hasard, mot pour mot », disait Mallarmé. C’est un peu ça, l’écriture, non?

 

Salon Littéraire <> Vos deux livres se caractérisent par un mélange de rigueur narrative classique et de style très contemporain (celui-ci risquant peut-être de jouer contre eux d’ici quelques années). Est-ce délibéré ? 

 

Xavier de Moulins <> La littérature est à mon sens faite pour être décoiffée. Tant pis pour les gardes suisses du style et de la langue et désolé pour la postérité, qui implique une vie après la mort. Et tant pis si l’oralité risque de mal vieillir : on prend ce genre de risque quand on aime la vie et son époque. 

 

Salon Littéraire <> Il ne se passe pas grand-chose dans Ciel bleu, et pourtant l’ensemble obéit à une progression inéluctable. Comment avance-t-on en faisant ainsi du sur-place ?

 

Xavier de Moulins <> Il est difficile de répondre à cette question. Disons que pour moi l’action est aussi synonyme d’intériorité. En apparence, les corps sont immobiles, ce qui n’empêche pas leur esprit de vagabonder. C’est Beckett qui fait ça très bien. Je suis loin, très loin de me comparer à lui, rassurez- vous.  

 

Salon Littéraire <> Quels autres auteurs que Beckett citeriez-vous comme vos maîtres ?

 

Xavier de Moulins <> Liste incomplète : Victor Hugo, Balzac, Flaubert, La Fontaine, Cioran, Fitzgerald, Eddie Little, John Fante, Bret Easton Ellis, Chuck Palahniuk, David Foster Wallace.

 

Salon Littéraire <> Est-ce vous qu’on voit (de dos) sur la couverture d’Un Coup à prendre ?

 

Xavier de Moulins <> C’est sur couv’ du Livre de Poche que l’on voit un derrière devant, mais je suis innocent, Monsieur le Juge.

 

Propos recueillis par FAL


Xavier de MOULINS, Un Coup à prendre, Le Livre de Poche (Première édition Au Diable Vauvert), 5,60 €

 

Xavier de MOULINS, Ce parfait ciel bleu, Au Diable Vauvert, 17,50 €

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