Le fantôme de Munich, ou le roman des lâchetés françaises...

Dans l’Histoire des lâchetés françaises, Munich a sans doute une place de choix. Mais dans la littérature, c’est autre chose, le sujet ayant fait fuir. Car de quoi est-il question exactement, de la décision qui a voulu sauver la paix en Europe ou de l’abandon pur et simple de traités d’alliances avec de vieux amis ? Rien n’est simple, et pour aborder ce moment fort et douloureux, Georges-Marc Benamou — dans ce romn qui tranche singulièrement avec ses précédentes productins — se place du point de vue de Daladier, grand homme d’Etat un rien oublié de nos jours lui aussi et qui eut la lourde tâche de dire son mot à cette conférence de Munich.

Septembre 1938, Hitler réuni ses voisins après avoir fait l’Anschluss pour évoquer le sort des Sudètes dont une grande partie est germanophone et, dans sa conception très personnelle de la paix dans le monde, réclame sous peine d’invasion militaire féroce qu’on veuille les lui restituer. Tout n’est qu’un jeu assez malsain de colère et de caresses, où Hitler excelle, sur la base d’une force militaire qu’on lui suppose — à tort, mais nous avons le recul du temps pour nous. La manigance d’Hitler, assisté par un Mussolini en pleine forme, qui joue à la fois le chaperon de son disciple allemand et le maître de la paix européenne — pourvu qu’on lui laisse étendre son Empire… —, sont assez fortes pour circonvenir à toutes les attentes et les présages. Et, finalement, il aura gain de cause, sur tous les points, et il pourra jouer sa carte maîtresse, celle de la guerre qu’il avait de toute façon prévue.Tout n’était qu’un jeu, destiné à éblouir et agacer ses voisins en vue de lui permettre de monter vraiment en puissance. Et il a été un maître de jeu grandiose.

Le roman alterne le récit d’une jeune journaliste qui va réussir à passer la barrière d’un vieux Daladier, qui s’est isolé loin du monde et ne souhaite pas au départ donner sa version des faits, et le récit proprement dit des souvenirs de Daladier. Si la mise en scène est assez bien menée, quoi que fort convenue, les intermèdes pour relancer les souvenirs forment une série de questions brutes et sans aucune épaisseur romanesque. Cette discussion est un artifice qui n’apporte rien au roman et dont on pourra même s’épargner la lecture.

Si le fantôme est ce Munich de sinistre mémoire, cette conférence qui a viré au cauchemar et dont Daladier est rentré applaudi par une foule en liesse alors qu’il savait pertinemment qu’il venait de commettre un impair, le fantôme le plus présent et sans doute le vrai sujet de ce roman, c’est Adolf Hitler. S’il n’apparaît qu’au milieu du roman (1) il est l’actant de toute la trame romanesque de bout en bout.

Le Fantôme de Munich est un roman historique qui a le courage de se mettre face à son propre sujet, de n’éluder ni les faiblesses ni les déceptions et propose une vision singulière de l’événement : Daladier, opposé à toute forme de reddition, est conduit petit à petit par un Adolf Hitler imposant de contradictions et de puissance à renier sa propre foi pour une cause qui n’est pas la sienne. S’applique ici le principe du psychanalyste Octave Mannoni, « je sais bien, mais quand même » : je sais bien que signer les accords de Munich sont une erreur qui contentera pourtant le peuple, mais quand même il serait bien que ce n’en soit pas une… C’est l’Histoire, quelques temps après, qui donna raison à Hitler et à ses manigances et qui renvoya Daladier et consorts aux oubliettes, comme imposteur et traîtres à leurs alliés (c’est d’ailleurs très clairement dit dans le roman, par la voix de deux ambassadeurs de Pragues quasiment tenus au secret des discussion qui les concernent avec un mépris qui ne laisse rien présager de bon quant au respect des traités devant leur garantir la paix une fois les « ressortissants » allemands réintégrés au Reich). Mais de l’Histoire, ici, nous ne savons rien, nous sommes en plein dedans et vivons avec les protagonistes de ce moment clé du XXe siècle, moment mis de côté par les oublieux. Incontestable réussite, pour le traitement de ce sujet difficile et de la mise en scène vivante de personnages forts (Daladier en premier lieu, mais Neville Chamberlain aussi, et Mussolini, Hitler, Göring, etc.) ce roman de la mémoire est une excellente question posée à la postérité.

Loïc Di Stefano

(1) (et là mon cher professeur de littérature en classes préparatoires qui s’échinait à nous expliquer qu’un roman c’est un début, un milieu et une fin, serait bien satisfait de Benamou qui applique très scrupuleusement cette règle) 

Georges-Marc Benamou, Le Fantôme de Munich, Flammarion, mars 2007, 319 pages, 19 euros

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