Jean l'imposteur, revenu sur terre achever l’œuvre de son frère, le Christ

La parabole de Jean 


Dans l'ère très médiatique qui voit l'homme perdre sa spiritualité, un homme apparaît, de nulle part, utilise des mots simples et regarde du fond de son âme chacun, qui en est bouleversé. Qu'il soit dit que le frère du Christ est advenu pour sauver les hommes.

 « Ben Youssef n'est pas la réincarnation de Saint-Jean, il EST Saint-Jean. »


Un homme apparaît un soir dans une émission de télévision de grande écoute, et la foi chrétienne renouvelée se répand, accompagnée de son fléau : Ben Youssef qui ne dit mots qu'en citant les Evangiles non apocryphes de Saint-Jean qu'il dit être est revenu pour achever le travail de son frère, le Christ (Ben Youssef signifie « fils de Joseph »), et donner une nouvelle chance aux hommes ; et, dans le même temps, une série de crucifixion dans les bois alentour de Paris sème la panique. En plein mystère — au sens biblique, « mystère en pleine lumière » disait Anatole France — un paumé est envoyé en mission : Augustin Levêque doit « scanner » les rues de Paris à la recherche d'une trace de Ben Youssef dans le regard des passants, parce qu'il voit au fond de l'âme...

Augustin vit avec Myriam (c'est-à-dire Marie) qu'il maltraite moralement sans volonté de nuire : il erre dans sa vie comme dans les rues, depuis qu'il a été chassé du Palais comme un malpropre, alors qu'il exerçait sa sagacité pour le compte du Président. De cette époque, lui restent quelques amitiés avec les RG et une dent dure contre Richemont, patron de la sécurité du Palais. Mais beaucoup de vides, un grand besoin de retrouver son identité, des rêves étranges d'un horde sauvage et d'une communauté sainte. Tout est prêt pour que lui soit révélé qui il est : à la fois Bois-Joli, enquêteur des mystères de la foi et Augustin, survivant et témoin de leur véracité. C'est la Bible transposée au XXe siècle, les feux de la rampe en plus !

La narration est clairement en deux temps. Le premier, celui de la recherche des faits, est aussi celui de la quête d'identité de chacun : qui est Ben Youssef, qui sont ses apôtres, qui est Augustin, pourquoi les crucifixions, pourquoi l'archevêque de Paris et la Sécurité intérieure veulent-ils chacun être le premier à parler à Ben Youssef ? C'est une manière de polar, mais sans les fioritures « noires » du genre, ni les banalités ésotériques pour adolescents à la dérive. Il n'est ici question que de parabole, d'Evangiles et de foi. Le second est en rupture avec le précédent : le narrateur omniscient laisse sa place à Augustin qui s'adresse pour ainsi dire toujours à Ben Youssef qu'il est venu rejoindre à New York pour être le témoin (comme son saint patron) des miracles de la foi et de la Cène reconstituée et modernisée : Pierre est devenu Peter, par exemple. 
  
« le miracle n'est pas le produit de Dieu mais celui de la foi. »

Ce roman de la crédulité pose par la parabole de Saint-Jean et du mystère biblique qui l'entoure - pourquoi est-il l'apôtre favori du Christ ? - le problème de la foi à l'ère médiatique. Quand les « premiers » apôtres ont dû se faire prosélytes de nombreuses années et n'atteindre le statut de martyr (littéralement « témoin ») que fort tardivement, l'évangélisation du nouveau millénaire est ultra rapide : sitôt apparu, l'apôtre résout les conflits les pus inextricables et les haines les plus fraternelles (l'ETA rend les armes, l'IRA cesse toute attaque, etc.). Il émane d'eux une aura bien réelle, qui déplace des foules entières et conduit l'homme à son propre dépassement.
 Mais ce sont les deux côtés qui sont stigmatisés, car si Jean est un Imposteur (la raison de ce roman n'est pas la moins crédible et en appelle à la raison médiatique et diplomatique (1)), il est néanmoins celui par lequel les miracles se font !

« Comme pour toi, une simple émission de télévision avait suffi à faire chavirer l'Amérique et provoquer un engouement qui commençait à menacer notre situation. » quand un illusionniste de cabaret se présente comme Jésus et dénonce Ben Youssef pour imposteur. Si un grand nombre de fidèle doute, et qu'Augustin tâche de sauver les apparences alors que Ben Youssef est de plus en plus prostré, la vérité est ailleurs. Rien ne pourra défaire ce qui a été fait ! Même les révélations les plus étonnantes, les précuations les plus drastiques et les recommandations les plus amoureuses envers Augustin pour qu'il cesse là sa participation à l'aventire de Ben Youssef ne pourront rien y faire : Augustin embarque vers son destin, qui est, peut-être, d'être lui-même le Messie révélé !

« [secte qui] rassemble un nombre indéterminé de militants d'horizons très divers dont le credo commun est de maintenir la société et l'Etat laïcs par tous les moyens. Y compris les plus radicaux. / - Des croisés de l'agnosticisme ? / - En quelque sorte. »

Preuve que l'imposture est aussi efficace que le réel, une organisation secrète et laïque est responsable de la crucifixion des fidèles de Ben Youssef. Mais est-ce pour arrêter l'hémorragie hérésiarque ou par crainte du développement véritable du culte ? (2) Pire encore, que Ben Youssef soit le frère du Messie ou, comme on l'apprend in fine, un simple révélateur des vertus d'Augustin, qui est promis à un avenir merveilleux, les résultats sont indéniables, et toutes les manichinations de la CIA opur créer de toutes pièces un faux-prophètes n'y changeront rien : la foi tient sur elle-même : « le miracle n'est pas le produit de Dieu mais celui de la foi. » L'auteur stigmatise ainsi aussi bien les usurpateurs que ceux qui les mettent en place pour leur propre salut et veulent les défaire quand ils n'en ont plus usage, à moins qu'il ne soit trop tard...

Il y a beaucoup dans ce roman, beaucoup de questions sur les fondements de la foi et sur le fonctionnement même de la croyance, de la crédulité diraient les mécréants. Un plongeon fait d'intelligence et de sagacité dans les arcanes de l'esprit et, en même temps, dans une langue d'une grande fluidité et d'une très belle douceur, la révélation de mystères qui offre une intrigue digne des meilleurs polars qui ne mettent pas les giclées de sang en tête d'affiche. Un vrai bonheur !

Loïc Di Stefano

(1) Voir le film Les Hommes du Président pour une belle manipulation de masse

(2) Nous le saurons sans doute avec Le Bouclier de Janus, second volet de la trilogie La Trinité désenchantée, qu'ouvre Jean L'Imposteur. 

Jean-Olivier Tedesco, Jean l'Imposteur, Albin Michel, avril 2005, 327 pages, 19,50 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.