"La Cabane de l'aiguilleur"... où Steinbeck rencontre Sturgeon"

Les raisons de la colère

Années trente aux États-Unis, plongés en pleine dépression. Des vagabonds errent à travers le pays en empruntant le chemin de fer. Régulièrement chassés par les citadins, ils survivent dans des campements de fortune. Ils sont accompagnés d’un amnésique, surnommé « l’Os », qui se comporte comme un grand enfant. Un soir pourtant, il fait preuve d’une force étonnante en tuant à mains nues des miliciens et sauve ainsi ses camarades. Ceux-ci commencent à le regarder avec un drôle d’air…

Pendant ce temps, Travis Fisher, jeune adolescent qui vient de perdre sa mère, arrive dans la petite ville de Haute Montagne pour habiter chez sa tante, Liza Burrack. Son oncle – bourru et plutôt antipathique- lui trouve un travail dans son usine : du ménage en fait. Renfermé et plutôt mal à l’aise dans cette petite ville, Travis sympathise bientôt avec Nancy Wilcox. Délurée, curieuse, Nancy est aussi inadaptée que lui à l’ambiance puritaine et traditionnaliste qui règne dans le coin. Qui se ressemble s’assemble…

Il y a pourtant cette autre fille, Anna Blaise, qui habite la chambre au dessus de celle de Travis. Elle « subit » les visites nocturnes de l’oncle de Travis qui se sent irrésistiblement attiré par elle et par le mystère qui semble l’entourer. Travis et Nancy l’aident à s’enfuir et la cachent. La vraie nature d’Anna se révèle alors…

Portrait d’une Amérique en crise, critique du puritanisme, opposition ville/campagne, évocation de ces milices de citoyens qui prennent la place d’une puissance publique défaillante par peur des pauvres (et du communisme) : voici autant d’éléments dont l’auteur se sert pour bâtir la trame de son livre. Pour autant, le cœur du roman est ailleurs.

Un roman initiatique de l’adolescence

Premier roman de Robert Charles Wilson, La Cabane de l’aiguilleur narre en fait l’entrée dans la vie de jeunes adolescents réfractaires au mode de vie proposé par les habitants de Haute Montagne. Clairement, ce monde des adultes n’est pas, ne sera pas le leur. Surtout, chacun doit faire face aux traumatismes de leur enfance pour mieux les dépasser: Départ du père pour Nancy, les fautes de la mère pour Travis. Sur ce point également, la fonction d’Anna Blaise est claire.

Douée de la capacité (entre autres mais ne dévoilons pas tout) de dévoiler aux gens leurs rêves les plus cachés, Anna donne l’occasion à Travis de voir réaliser combien il est prisonnier d’une image idéalisée de la femme qui cache son refus de les voir telles qu’elles sont, humaines et imparfaites, à l’image de cette mère tant aimée et disparue dont sa tante ne cesse de lui rabâcher les fautes. Cet idéal est source de danger car il sécrète aussi un goût inassouvi de la pureté susceptible de le mener vers la violence par dégoût des imperfections de la nature féminine… On retrouve dans ce roman la force de l’auteur de Spin : la capacité de doter ses personnages d’une forte épaisseur psychologique. Il montre ici, par l’ambiance qu’il créée, à quel point il est héritier du Théodore Sturgeon des Plus qu’humains, grand roman où des jeunes mutants, donc des inadaptés et des marginaux, se cachent du monde des adultes. Wilson, finalement, parle surtout du passage de ces jeunes à un autre stade de leur vie, de leur évolution. Ce qui ne les empêche pas de marcher près du précipice…

L’aspect Fantasy du livre, avec les figures de « l’Os » et d’Anna, relève également de cette thématique. Ces deux personnages sont des visiteurs, issus d’une dimension qui n’est pas sans évoquer les contes et le merveilleux à la Charles Perrault. Ils sont venus dans notre monde pour faire l’expérience d’une maturité que leur univers ne leur offrait pas. Leur voyage est cependant loin de se passer comme prévu…

Premier roman plein de promesses, La cabane de l’aiguilleur souffre de certains défauts liés à la jeunesse de l’auteur. La construction de l’intrigue est par exemple un peu hasardeuse dans son dernier tiers. Pour autant, ce livre fera les délices de l’amateur de fantastique et des aficionados de Robert Charles Wilson, prix Hugo 2006 pour le fameux Spin.

Sylvain Bonnet

Robert Charles Wilson, traduit de l'américain par Gilles Goullet, Gallimard, « folio SF », Mars 2011, 272 pages, 6,80 €

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