"Ankylose" de Franck Balandier, petite musique de nuit pour les gens inutiles.

Une rencontre improbable entre deux êtres en décalage embarqués malgré eux au bout d'une nuit vertigineuse.


Un roman où le destin joue avec les êtres et les choses à la manière de ces parcours initiatiques où la banalité la plus crue s'auréole de mystère et semble s’illuminer au contact des situations, comme autant de plaies ouvertes entre le rêve et la réalité.


Ils se sont rencontrés sur Internet. Assis à la terrasse d’un café parisien ils n’ont visiblement rien à se dire. Des Esseintes a cinquante ans, Vanessa, vingt de moins. Elle ne lui plait pas avec ses airs de photo ratée. Peu importe, demain ils auront disparu chacun de leur côté.


Elle lui parle de l’Antarctique, désabusée, mais semble vouloir y croire. Lui se contentera de cette banquise à la dérive sous le soleil froid de cette fin d’après-midi. Derrière leurs pseudonymes, deux vies ordinaires, blasées ; si lui aurait voulu vivre comme un personnage de roman elle se réfugie dans des rêves dérisoires. Pourquoi ce rendez-vous ? Pour voir. Mettre leur solitude en commun, donner un alibi à des monologues éclatés, attiser les quiproquos et offrir un écrin au désespoir le plus fade et aux déceptions les plus plates.


Pourtant la ville est là autour, comme un décor de théâtre, les mises en abyme s’enclenchent et la porte dérobée est à deux doigts de s’ouvrir. Ville fantasmée, intemporelle, qui sert de moteur à l’action et où foisonnent une quantité de possibles aux répercussions insondables.


Déjà les acteurs entrent en scène. Un signe. Un téléphone oublié sur une table. Une balade à l’ombre des façades, une longue halte chez les morts, un poème de Baudelaire et l’engrenage des correspondances…


Ce roman frappe par son atmosphère particulière, onirique, s’insinuant à mesure que la nuit avance et que les personnages se dévoilent.


Ici tout chavire au cœur d’un cimetière où le passé resurgit au détour d’une tombe ; une autre mécanique se met en route et le retour chez les vivants sera marqué par une succession d’intersignes.


Le roman n’en reste pas moins cruel et lucide. L’écriture, froide, acérée de l’auteur, partisan de phrases courtes et de réparties laconiques, accentuant le cynisme de son héros, touche souvent à l’aphorisme. Armé d’un goût prononcé pour le détail, chaque mot y est exploité jusqu’au bout, décliné sur tous les modes, donnant lieu à quelques fulgurances poétiques au service de cette atmosphère singulière héritée du Romantisme Noir.


L’auteur ne semble éprouver que peu de pitié pour ses personnages, et si l’humour est omniprésent c’est une charge de plus sur leurs épaules ; la figure de Vanessa est pathétique, sans appel, et l’apparente assurance de Des Esseintes s’écroule au contact de ses lâchetés.


En fond se profilent la misère et la détresse sentimentale ; constat d’échec renouvelé pour elle : comment aurait-il réagit si elle lui avait plu ? Aurait-il pris les devants au lieu de se réfugier derrière le prétexte d’une simple expérience ? Si à la fin les choix sont multiples, on ne peut pas parler de chances, pourtant…


Une intrigue admirablement structurée, hérissée de rebondissements saisissants, ce troisième roman de Franck Balandier est de ces livres que l’on relit et, à l’instar du sous-titre, un livre comme une musique intime, profonde, qui croît et continue de nous hanter longtemps après.


Arnault Destal


Franck Balandier, Ankylose, Le Serpent à Plume, avril 2005, 160 pages, 13 euros



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