"Comme un écho errant", inédit de Jean Meckert, autobiographie à la troisième personne et drame universel

Jean Meckert est un turbulent, il aime bien comme feu Albert Londres porter la plume dans la plaie. Ça le titille, l'injustice sociale, il emploie toute sa verve alors à défendre son idée du ridicule tel qu'il s'incarne dans la justice par exemple, et plus généralement dans tout ce qui est politique. Ce n'est pas un trublion, plutôt un regard avisé qui pointe les failles de la Société.


1975, Belleville. Merckert, au fait de son art sous le pseudonyme de Jean Amila pour la Série Noire de Gallimard, est retrouvé laissé pour compte dans la rue. Sur son lit d'hôpital il ne saura se souvenir que d'une chose, il écrit des polars. Dix ans plus tard, après les décès successifs de sa mère et de sa sœur, le moyen de s'en sortir émotionnellement est de transcrire cette aventure particulière dans un roman, à la fois psychologique et biographique, resté inédit jusqu'à ce jour. Comme un écho errant narre donc les souffrances d'un auteur de polar qui, parce qu'il a écris une charge contre les dérives d'une nation qui ment sur ses agissements dans ses territoires d'outre-mer et sur sa sureté nucléaire, pense avoir été la victime de quelques gros bras « pour la leçon ». Quoi qu'il en soit, il est retrouvé raid par terre, inconscient, et le choc lui aura fait perdre toute mémoire. Ce n'est plus qu'un écho errant, qui ne va avoir de cesse de ruminer sa vie et ses déboires. L'ancrage mémorielle, ce sera sa petite enfance, qui resurgit, alors que sa sœur fait tout (voire même un peu trop) pour l'aider. Dans cette enquête personnelle, il ne reconnaît plus les livres qu'il a écris, les lieux où il a vécut, les gens qu'il a connu. Il n'est plus qu'un vivant tout neuf. Et c'est en quelque sorte ce présent recomposé qui va être sa rédemption, qui va lui permettre de juger du monde comme un sage antique, perché plus haut et délié de toute contrainte.


« C'était donc ça, l'amnésie, une citerne percée qui avait contenue une eau potable et qui puait douceâtrement son vide. Il fallait bravement récurer, réparer et souhaiter de nouvelles pluies du ciel.

Mais plus d'image, plus de son..., allez donc intéresser quelqu'un ! »


Comme un écho errant est un texte très âpre et beau, où l'on sent un Meckert soucieux plus que d'habitude de dire sa vision du monde, d'enfoncer le clou de l'injustice sociale notamment, à travers la très simple et belle figure maternelle, sans cesse dorlottée par une fille étouffante de petits soin et qui s'empresse de quitter la Côte pour retrouver son petit chez-elle parisien. Ce sont aussi nombre de petites notation au fil du récit qui placent Meckert du côté des ouvriers, du bon peuple qui souffre et qui turbine quand même. Un sentimental, le Meckert, qui voit aussi dans cet accident la chance d'une autre vie, comme une renaissance. Partie, sa femme acariâtre ; disparues, les contingences : oubliés les mauvais souvenirs : Meckert est un homme neuf, un voyageur sans bagages dirait Anouilh, un regard qui se pose sans appréhension sur le monde et le voit tel qu'il est, une effarante machine à écraser les gens. 


De sa petite retraite  dans la campagne seine-et-marnaise, Meckert se fait l'héritier d'un François Augiéras, se déprend du monde et rire de ses tares. Car elles sont légions, et souvent incarnées, notamment par la soeur qui synthétise tout l'esprit d'obéissance civile et de crédulité qui le met hors de lui. Meckert n'est pas un anarchiste, mais un humaniste qui rêve de voir chacun disposé de son libre arbitre, voici sa leçon.


« Car on en était là, mémoire en caillebotis pourri, vieux bonhomme angoissé, au niveau du marmot égaré dans les couloirs. Mais du moins il savait, depuis l'orphelinat et la jeunesse en usine, que la chialerie sur soi ne menait à rien et que pour avancer il fallait mettre un pied devant l'autre.

Peut-être aussi ne ressentait-il pas son état comme déchéance, mais comme simple avatar. »


Refusé en 1986 par Gallimard, au motif que le texte ne choisissait pas entre étude psychologique et biographie, c'est justement cette force qui fait de Comme un écho errant une manière de catharsis par laquelle Meckert revient sur son drame personnel et en fait un roman à la portée universelle, même si la volonté de surcharge nuit un peu et que les grands romans ne sont pas égalés, ce texte a une force incroyable.



Loïc Di Stefano


Jean Meckert, Comme un écho errant, Joseph K, juin 2012, 185 pages, 16,50 euros. 

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