"La Double vie de Vermeer", l'histoire d'un faux par Luigi Guarnieri

La note de l'auteur in fine était-elle nécessaire pour nous rappeler que toute cette histoire,  aussi saugrenue soit-elle, est véridique ? Les faits, pourtant, s'ils ne sont connus dans le détail par le commun dont je suis, sont assez connus : un peintre a vendu fort cher aux Nazis un faux Vermeer, et s'est dénoncé comme faussaire pour échapper à la condamnation pour faits de trahison. Mais Luigi Guarnieri, avec un style d'une grande sobriété qui fait de son roman une chronique, adopte un point de vue séduisant et assez incontestable : pour être le meilleur faussaire connu de Vermeer, il faut être un très grand peintre !

De Vermeer l'on ne sait pas grand chose, sinon qu'il est sans doute l'un des plus grands peintres de tous les temps. Sa vie, c'est sa ville, deux date et quelques toiles. Une magie non encore élucidée. Nourri d'une grande rancune envers ses contemporains (il apparaît d'emblée de nature fruste) et surtout à l'encontre des critiques d'art,  lesquels peuvent être publiquement trompés sas perdre de leur crédit et, surtout, lesquels ne lui accordent pas une attention assez élogieuse — dans sa période de création, d'un véritable talent —, le peintre et marchand d'art Han Van Meegeren va créer une œuvre capable par sa qualité propre de prendre place dans la chronologie de Vermeer, sans qu'on puisse croire à un jeu de faussaire.


« […] il voulait créer un chef-d'œuvre d'une très haute valeur esthétique et d'une énorme portée historique. […] Mais le but de VM n'était pas de devenir seulement un brillant faussaire. Il voulait, par dessus tout, être un grand peintre, un artiste capable d'égaler le génie de Vermeer. »

Car VM — ainsi l'auteur nomme-t-il tout du long son personnage — n'est pas un faussaire, c'est un véritable artiste qui ne veut pas faire une œuvre à la manière de Vermeer, mais une œuvre de Vermeer dont une partie de l'œuvre est encore inconnue ,  alors pourquoi pas cette toile-ci ?, et il met son acharnement dans un processus de création à la fois technicien (la toile, les pigments, les craquelures, etc.) et artistique (la lumière — la fameuse lumière de Vermeer, qui inspira le « petit pan de mur jaune » à Marcel Proust ! —, les traits, les drapés, etc.) au point de s'enfoncer petit à petit dans la peau même du maître de Delft.  VM sort grandit de son travail, et s'il parvient à tromper les spécialistes (qu'il déteste parce qu'un critique reconnu pourra toujours se tromper sur une attribution et défaire à l'envie des réputations, la sienne sera inviolée !) il  ne se trompe pas lui-même : il sent que son talent, au lieu d'aller vagadonder dans l'art moderne pour faire du « n'importe quoi » comme ses contemporains, plonge aux sources du son art et réinvente les sources mêmes de sa propre vocation. 

La Double vie de Vermeer est le récit attachant quoi que fort sobre — pour le style, surtout, très peu romanesque… —, malgré le luxe des détails techniques et les « études » sur l'art qui  émaillent sa propre histoire  sur la quête d'un homme et ses exigences propres pour atteindre à sa propre vérité, même si le chemin passe par un faux. Mais quel faux !


Loïc Di Stefano 

Luigi Guarnieri, La Double vie de Vermeer, traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli, Actes sud, avril 2006, 229 pages, 19,80 euros

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