"Un peu de ton sang", Sturgeon le monstre sacré

Theodore Sturgeon (1918-1985) est un auteur ayant bénéficié en France d ’un soutien critique important, grâce entre autres à l’activisme d’Alain Dorémieux, rédacteur en chef de la revue fictions dans les années 60 et 70 et personnage central du milieu éditorial français de science-fiction, qui publia une anthologie remarquable intitulée Les songes superbes de Theodore Sturgeon. Il est par contre un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui dans son pays natal.

Davantage reconnu comme un auteur de nouvelles, on doit cependant remarquer que son roman Les Plus qu’humains a eu un impact considérable et est vu par les fans de comics comme une des sources de la série Uncanny x-men ; il est également l’auteur de scénarii pour des séries télé comme Star trek : notamment l’épisode « le mal du pays » où Spock, pris de folie, doit revenir vers Vulcain pour le pon far afin de se reproduire… Sturgeon peut donc sans problèmes être qualifié de monstre sacré de la SF.

Le recueil proposé ici rassemble une longue nouvelle intitulée Un peu de ton sang, initialement parue dans un recueil de la série « Alfred Hitchcock présente » d’une part, et une nouvelle plus courte, « je répare tout ».

Un peu de ton sang est qualifiée par Steve Rasnic Tem d’hommage à Dracula. C’est un peu court. L’histoire commence par une série de courriers échangés entre deux psychiatres de l’US Army au sujet d’un patient nommé « George Smith », coupable d’avoir agressé un major. Ce soldat fait l’objet d’une évaluation psychologique qui montre chez lui certains troubles, notamment au niveau sexuel, qui poussent son psychiatre à une investigation plus poussée. Le récit, alternant échanges épistolaires, récits de George Smith — le patient —, détails des interrogatoires, étude de son profil, est plutôt bien mené. L’ensemble est par contre assez daté : les notations sur le comportement sexuel déviant de Smith semblent sortis tout droit d’un cours de psychiatrie des années 50. L’intrigue et sa résolution font également preuve de ficelles assez éprouvées par le temps :  la conclusion est laissée, sous forme de trois possibilités, à la charge du lecteur, un peu à la manière d’un de ses bons vieux livres « dont vous êtes le héros ». Peut-être était-ce dû au format imposé par la collection « Alfred Hitchcock présente » où fut publiée initialement cette anthologie… On en ressort en tout cas avec une sensation de frustration, voire d’arnaque.

Toute autre est la nouvelle « Je répare tout ». Ici Sturgeon met en scène un être humain en marge, un petit monstre rejeté par ses pairs qui sauve une jeune fille blessée et agressée. Soigner cette femme lui a permis d’échapper à une solitude pesante et de trouver un sens à une existence infecte. Au moment de la guérison de la jeune femme, il est bien décidé à ne pas revenir en arrière … Cruelle et touchante à la fois, « Je répare tout » est bien plus satisfaisante, bien plus maîtrisée et « horrifique » que la précédente. Elle correspond en tout point à la richesse et à la diversité d’une œuvre relevant à la fois de la science fiction et du fantastique auxquels les derniers mots de la postface de Steve Rasnic Tem rend justice : « … je pense que réduire (Sturgeon) à un genre, quelqu’il soit, le dessert. Son sujet — la traque de l’insaisissable chez l’être humain — étant beaucoup trop vaste pour se voir imposer de telles limites. »

 Sylvain Bonnet

Theodore Sturgeon, Un peu de ton sang, Traduit de l'américain par Odette Ferry & Véronique Dumont, Gallimard,  "Folio SF", 212 pages, janvier 2010, 5,60 €

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