Laia Fàbregas et "La Fille aux neuf doigts" : un premier roman tout en jeu de miroirs
Laura a trente ans. Elle travaille à la DRH d’Ibéria. Elle n’a que
neuf doigts. Traîne un lourd secret de famille. Une histoire de reflets,
d’images, que sa sœur Moira semble vouloir ignorer. S’en amuser en devant
photographe. Car il s’agit bien de photographies. Pas une seule photo d’elles
petites. Pas une seule photo dans un cadre, dans un album. Et le sujet est
tabou. Pourtant la famille est heureuse. Malgré la lutte clandestine contre la
dictature de Franco, Thomas et Carme élèvent leurs deux filles dans le bonheur.
Un militantisme actif mais une vie de famille saine.
On ne fait donc pas de photographies mais des photo-pensées. Toute une
technique mentale mise au point par le père. Un exercice de mémoire visuelle.
Mais pourquoi ?
Laura a trente ans et plein de questions sans réponse. Alors elle s’en amuse en tenant un cahier. Comme un journal intime, elle décline la perte de son doigt. Puis d’un autre, et encore un autre. Dans un mauvais rêve elle s’invente des destins. Mais dans la vraie vie elle n’a que neuf doigts. Et personne pour lui dire pourquoi. Et toujours cette folie obstinée autour de l’absence de photos.
Alors face au silence buté des parents, Laura se persuade d’avoir été plongée
dans le mensonge. Il y a certainement des photos qui existent. Quelque part.
Mais où ? Elle part en quête de ce trésor...
Plus les pages se tournent et plus s’ouvre un monde étrange. C’est inquiétant.
C’est onirique. La mixité du réel romanesque et du journal fantasmé donne une
ambiance unique. Il y a un tourbillon qui vous happe. Un suspens piquant. Un
garçon qui s’invite avec son appareil photo. Une révélation sur la toute fin.
Un point final qui donne la chair de poule.
Un premier roman bien maîtrisé, un jeu de miroirs, une langue portée par une drôle d’histoire. Et un destin : l’auteur, jeune femme catalane venue à Rotterdam pour un séjour d’études il y a dix ans, y est restée. Et elle choisi d’écrire directement en néerlandais, délaissant sa langue natale.
Annabelle Hautecontre
Laia Fàbregas, La Fille aux neuf doigts, Actes Sud, "lettres néerlandaises", traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, mai 2010, 175 p. - 18,00 €
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