Frederick Exley et "Le dernier stade de la soif" ? De la très très bonne littérature !

Quand François Xavier s’était entretenu avec Dominique Bordes, ce dernier n’arrêtait pas de faire allusion à Frederick Exley. Je comprends mieux pourquoi. Cet éditeur iconoclaste préparait le terrain. A la tête d’une entreprise éditoriale en pleine tempête, le buzz a du bon. Même s’il ne compte pas. Et confond jour avec mois. Trop d’attente peut tuer le désir. Bref, revenons à nos moutons. En ouvrant l’enveloppe j’ai d’emblée était séduite. Oui, cela m’arrive d’être de bonne humeur. Surtout quand je sais que l’on ne se fiche pas du monde. Et c’est bien là l’un des caractères de cette maison d’édition au nom biscornu. Car ici l’on soigne. Non pas tant le lecteur - il en faut cependant pour faire tourner la boutique. Mais bien le livre. Cet obscur objet du plaisir. Et d’un certain délire, aussi. Car l’équipe menée par Bordes est totalement déjantée. Son catalogue borgne pour lecteur aimant se déguiser en pirate, le démontre. Mais surtout : ils savent faire un livre. La couverture : un carton gris de 400 gr. Une impression offset du dessin. Une technique du foulage pour donner cet aspect unique. Puis la police. Ce Linotype Adobe Garamond du plus bel effet. Associée à une mise en page harmonieuse. A des petits détails, comme le positionnement des numéros de page... Et le papier, ah ce papier ivoire Lac 2000 de 80 gr ; quel douceur au toucher. Quel sensualilté. Tout un ensemble qui fait que l’on garde à vie les livres de Monsieur Toussaint Louverture.


Alorss, ici, de quoi s’agit-il ? Du frère jumeau de Charles Bukowski. Puisqu’il faut présenter Frederick Exley, illustre inconnu mais grand maître de la prosodie, essayons de le rapprocher d’une autre figure de la littérature américaine. Un autre poète ivrogne. Sauf que Frederick Exley ne court pas tant les femmes plus qu’il ne tente de sortir la tête de l’eau. Ce n’est pas dans la trame que l’on pourra faire un parallèle. C’est plutôt dans la philosophie. Cette manière d’oser tout dire. De se mettre au centre du récit. Sa peau sur la table, comme dirait Céline. 


Exley tente un chemin de rédemption. Avec une écriture nettement plus construite que l’ami Charles. On est plutôt du côté de John Irving. C’est américain à souhait. C’est détaillé. C’est dense. Profond. Percutant. Soigné... Exley affiche sa volonté de s’en sortir. Mais la vie est très dure, voire trop. Professeur à l’Université de Californie puis à Chicago, il ne parvient pas à arrêter de boire. Sa femme demande le divorce. Les jumeaux lui manquent. Les visites à l’asile s’enchaînent... Et voilà que Bunny Sue Allorgee pointe son nez. Une dangereuse mangeuse d’hommes...
Finalement, il va sombrer. Comme Bukowski : les femmes ; les bars, les petits boulots... La pente est savonneuse. Il semble ne recouvrer ses esprits que pour coucher sur le papier ce qu’il traverse. Avec en ligne de mire, son obsession pour les New York Giants.


Mais attention ! Ici tout n’est que fiction ! Quand Bukowski narre par le détail ses réels délires, Frederick Exley fabule. Il s’invente alors. Comble de l’écrivain. Dédoublement des reflets. L’épopée emporte tout sur son passage. Le livre tremble entre les mains - on comprend alors pourquoi une telle couverture. Tout s’enflamme. Tout brûle. Les yeux piquent ; c’est trop injuste. C’est dingue ! On meurt de rire. On transpire. On dévore le roman... Mais que se passe-t-il ? 

Rien, finalement. Car ce n’est QUE de la littérature. Mais, diable ! De la très bonne littérature.


Annabelle Hautecontre


Frederick Exley, Le dernier stade de la soif, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Aronson et Jérôme Schmidt, préface de Nick Hornby, Monsieur Toussaint Louverture, février 2011, 450 p. - 23,50 €    

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