"Un heureux événement", portrait émouvant d’une intellectuelle aux prises avec la réalité matérielle et ancestrale du fait d’être mère

Placé sous le triple et chargé patronage de Jean-Jacques Rousseau (qui a considéré l’enfant comme un être humain), Simone de Beauvoir (qui a libéré la femme et reste le grand modèle) et de Simone Veil (qui a libéré la maman des contraintes par sa loi de 1975 sur l’avortement), ce roman « de fille » vient à point pour perturber par ses airs de ne pas y toucher les pensées toutes faites — et idylliques — qui noient les jeunes couples au moment de la naissance de leur premier enfant. Un heureux événement ? Tu parles !

Le jeune couple, très amoureux, emporté dans une vie active et trépidante, faite de sorties culturelles et de courses en moto, attend son premier enfant, l’aboutissement naturel de la vie à deux, sa raison d’être et de fonder quelque chose pour la vie. Mais, aussi, son incroyable terme, car, « quand l’enfant paraît  » comme dirait Dolto, ce n’est pas la vie qui évolue, c’est tout le monde qui change radicalement d’axe et qui rend caduc tout ce qui a précédé. Car l’enfant est un monstre, un roi despotique qui, sous réserve qu’on ait l’amour à lui donner, prend tout, le temps et l’énergie, les envies et les lendemains…

Tout est d’abord très beau, une relation épanouissante s’établit entre la mère et la fille, laissant un peu le père de côté, mais bien vite un déséquilibre naît : madame reste avec l’enfant au sacrifice de sa vie et monsieur sort, pour travailler ou se détendre, car on lui confie l’enfant sitôt qu’il rentre et ce n’est pas possible, plus une minute à lui… Un rien de mauvais esprit contre la gente masculine, si bien dite et peut-être pas tout à fait fausse d’ailleurs (1), le roman d’Eliette Abecassis dresse le portrait émouvant d’une intellectuelle aux prises avec la réalité matérielle et ancestrale du fait d’être mère, écrasée qui plus est par la société qui fait de l’enfant un roi dont il faut bien s’occuper. Et la femme revient au schéma traditionnel de la famille en laissant sa vie et devenant une mère :

« C’est difficile l’amour dans les couches-culottes. J’en peux plus de cette vie, et je ne sais pas quoi faire pour en sortir. Je crois que je suis faite pour autre chose que de tenir une maison. »

L’arrivée de l’heureux événement dans ce couple va conduire à la séparation, non pas seulement des personnes, mais des vies, car le père — comme aucun — ne comprendra l’épuisement de sa femme qui ne fait, bien sûr, que s’occuper de leur enfant. Mais c’est un emploi à plein temps, le sacrifice de sa vie, au point que la plus aimante des mères, quand elle y réfléchit bien, en vient à s’emporter contre sa propre chair :

« Léa. Ce monstre d’égoïsme et d’indifférence, cette manipulatrice qui ne m’utilisait qu’à ses fins personnelles, cet être qui n’était obsédé que par sa propre survie sans jamais avoir aucune attention pour autrui, cette gloutonne mono-obsessionnelle n’avait qu’une idée dans la vie : manger. » 
 
Eliette Abecassis, dans ce petit manuel à l’usage de la jeune maman, et qui épluche son Laurence Pernoud en proposant même une étude comparée et contradictoire des différentes éditions !, fait le parcours de la combattante contre tous les a priori résiduels de la société : allaiter ou non (on entre alors dans les débats qui mettent en avant les efforts de la leche league pour redonner à l’allaitement sa beauté et sa raison majeure), tout sacrifier ou non, tout supporter ou non. Car, pour une intellectuelle, passer ses journées entre les couches, les petits pots et les « bla bla » de son enfants, quel que soit l’amour qu’on lui porte, n'est pas un aboutissement. 
 
Drôle et cruel, avec des tableaux d'une grande réussite (l'incontournable mère juive...) qui font sourire et grincer des dents en même temps, sous ses faux airs de petite chose anecdotique, Un heureux événement  trouvera ses lecteurs, ceux qui sont passés par là et qui maintenant en rient, mais qui reconnaissent dans les sarcasmes et les souffrances de la jeune mère isolée du monde par l’amour de son enfant, une réalité, la seule peut-être encore, qui fait de l’homme un être animal : 

« Car l’allaitement, plus que la naissance, est la seule chose humaine qui n’ait pas changé depuis que le monde est monde, le seul fait archaïque qui nous rattache à notre passé préhistorique, à notre condition primaire, celle que nous cherchons à cacher sous l’aspect de la civilisation, celle de laquelle nous nous éloignons sans cesse chaque jour, de plus en plus vite, de plus en plus loin, dans notre volonté d’oublier que nous sommes aussi des animaux.
Voilà, me dis-je, le secret de la femme mère. C’est notre force en même temps que notre faiblesse. Nous sommes les mères, nous sommes les terres, nous sommes la une et les marées, nous sommes des femelles, nous sommes l’origine de la vie. »

Par ce plaidoyer pour l’amour maternel, qui résiste à tout, Eliette Abecassis donne un roman d’une grande finesse et d’une incomparable richesse, qui surprendra par la tranquille assurance avec laquelle il dresse le terrible portrait d'une naissance et de ce qu'elle bouleverse. Un heureux événement a la force des vérités qui ne font pas de bruit, mais qui restent à jamais, une fois entendues, comme une part de soi . Rien d'inconnu, mais enfin quelqu'un pour le dire ! 


Loïc Di stefano

(1) L’auteur de ses lignes, d’expérience, assume ses propos…

Eliette Abecassis, Un heureux événement, Albin Michel, septembre 2005, 223 pages, 15,90 € 




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