Gaston Chérau, "Le monstre" : un conteur de talent à redécouvrir

Ce recueil se compose d’une novella, qui donne son titre au volume, et de dix nouvelles.
Le Monstre se déroule à la ferme du Chebroux, tenue par Massé. Celui-ci, dur à la tâche (pour les autres !) exerce un droit de cuissage sur toutes les servantes. Celles-ci se font renvoyer par la femme Massé, quelque temps après, sous les prétextes les plus divers, souvent fallacieux. Le recrutement de jeunes femmes devient de plus en plus difficile. Aussi, quand Hortense, leur fille, est en âge de travailler, elle devient la servante et, est traitée comme telle. Massé ne fait pas la différence. Mais, en la possédant, il meurt d’un « coup de sang »
Quelques mois après, malgré les traitements inhumains endurés pour faire passer l’enfant, Hortense accouche seule d’un garçon. Celui-ci, « l’fi du Chabroux », « l’fi d’son grand-père », devient, par sa conception, un monstre rejeté par tous jusqu’à ce qu’il prenne conscience de ...
Les Vieilles raconte la lutte de deux femmes âgées pour rester à la ferme plutôt qu’en maison de retraite.
Le Fusil est l’histoire d’un homme pour qui la pêche et la chasse sont les choses les plus importantes.
L’Usine relate le dilettantisme d’un doux rêveur.
Les Frères se haïssent tant et si bien que...
Confession est le récit d’une farce que des paroissiens font à leur curé.
Barthillet expose un drame campagnard né de la jalousie.
Identité montre l’âpreté du monde paysan.
La Ménagère est prête à tout pour...
Un Garçon raconte la fin d’un couple.
Fifi l’Esguarrat expose l’amour bafoué d’un être solitaire.

Gaston Chérau raconte, dans ces nouvelles, la vie paysanne du début du XXe siècle. C’est une vie qu’il connaît bien car il préfère les grandes promenades dans les prés et les bois plutôt que parader dans les cercles et salons parisiens où sa situation pouvait le conduire.
Il est né à Niort en 1872 et décédé à Boston en 1937. Entre temps, il est directeur littéraire chez Ferenczi, reporter pour Le Matin, correspondant pendant la guerre de 14-18 pour L’Illustration, élu à l’Académie Goncourt. Il devient responsable de la rubrique des contes du Matin. C’est un poste important car cette forme littéraire occupait une place primordiale dans les journaux. Les écrivains qui trouvaient là une source de revenus non négligeable et un tremplin.

Son œuvre littéraire, forte d’une quarantaine de romans et recueils de nouvelles, le fait classer au carrefour des genres naturalisme, prolétarien et agraire.

Il décrit, avec beaucoup de sensibilité, mais sans perdre, ni authenticité, ni réalisme, la vie dans les fermes, les conditions d’existence de ces milieux clos, les clivages établis entre maîtres et serviteurs. Il aborde le travail pénible, la pauvreté tant morale que pécuniaire des serviteurs, le goût du pouvoir des fermiers, leurs soucis d’économies, presque d’avarice. Il peint le cadre de ses nouvelles avec précision, allant à l’essentiel, tant pour les décors que pour les caractères. Si ceux-ci peuvent paraitre bruts, il faut les replacer dans le contexte où la grande majorité des gens de ce milieu ne savaient ni lire, ni écrire. De plus, ils n’avaient, pour connaître le monde, que l’horizon du bourg voisin et, pour interlocuteur officiel, souvent que le seul curé.

Il brosse des portraits saisissants, réunissant des images, des réflexions d’une grande lucidité. Ne fait-il pas, dans Les vieilles, dire à l’une d’entre elles, en maison de retraite : « Elles parlaient des jours qu’elles avaient passés, autrefois, parmi les vivants. »

Avec Le Monstre, Gaston Chérau raconte, sans jugement, ni moralisme une situation qui a dû être fréquente puisqu’il remarque : « ...les trois quarts des naissances étaient bancales. » et qui a abouti à faire porter le poids d’une faute sur les descendants. Il illustre les conséquences d’actes sur les générations futures. Personne ne condamne le père incestueux, la mère qui tolère, qui cautionne même le vice de son mari, mais tous font porter la faute et rejettent les victimes.

L’écriture est habile, le vocabulaire relevé et la retranscription du patois des personnages ne gêne pas la lecture.
Le monstre est un recueil attractif pour le témoignage sur une époque dans un milieu qui reste encore bien ignoré. C’est agréable de retrouver, ainsi, des textes aussi forts, qu’il aurait été bien dommage de laisser oublier.

Serge Perraud

Gaston Chérau, Le monstre, préface d’Eric Dussert, coll. "L’alambic", L’arbre vengeur, novembre 2011, 208 p. - 12,00 €

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